Marco et Stella sont deux jeunes adultes en couple. S’ils ne se le disent pas forcément, ça ne va pas très fort. L’équilibre précaire de leur relation sera mis à mal par Ludovica, une mère célibataire qui dégoûte autant Stella qu’elle attire inexorablement Marco.

Deuxième bande dessinée de l’auteur italien Miguel Vila, Fleur de lait va encore plus loin que Padovaland. Dans cette dernière, il retranscrivait le désœuvrement et les désillusions de la fin de l’adolescence avec une acuité, une froideur et une vision chirurgicales, déstabilisantes. Ici, il garde son regard acéré et acerbe, mais se détache de la simple adolescence pour porter son microscope sur la vie d’un jeune couple. D’abord troublant, dérangeant, puis malaisant, Miguel Vila nous entraîne sur la pente glissante de l’infidélité, de la déviance et de la misère sociale et affective. Croqués sans aucune once de pudeur, ses personnages sont mis à nu par son graphisme pointilleux, ne laissant transparaître aucune beauté. Dramaturge d’une tragédie humaine 2.0, chroniqueur sans fard d’une jeunesse désorientée, l’auteur manipule dans la plus stricte intimité des personnalités en proie avec leurs complexes, leurs contradictions et leurs doutes.

Il n’est pas facile de parler de Fleur de lait sans déflorer ce qui en fait dans le même temps l’attrait et le rejet. La fascination et le dégoût. La surprise et la sidération… La beauté et la laideur, aussi, car cette lecture n’est pas neutre et met en scène des individus dans une totale désesthétisation qui secoue. Crus, totalement désérotisés, les instants de vie de ces trois personnes bousculent par leur approche frontale, sans filtre et atypique. Désirs, fantasmes et désillusions s’y entrechoquent dans une accumulation de cases exhibant d’innombrables détails. Utilisant une mise en page et une approche qui parviennent à lier la méticulosité de Chris Ware (Building Stories, Rusty Brown…), le réalisme épineux de Chester Brown (Vingt-trois prostituées, Marie pleurait (sur les pieds de Jésus)…) et la placidité angoissante de Nick Drnaso (Beverly, Acting class…), cet ouvrage de Miguel Vila est de ceux qui ne laissent pas indifférent et sont fatalement clivants.

Traduction : Laurent Lombard