Fondu au noir
Que s’est-il réellement passé cette nuit d’automne 1948, à Los Angeles ? Qui a tué la future star Val Sommers ? Et qui a maquillé cet assassinat en suicide ? Trop de questions se percutent dans la tête de Charlie Parish, scénariste laborieux pour un petit studio et ami de l’actrice décédée. Car s’il était sur les lieux cette nuit-là, Charlie, ancien soldat et alcoolique notoire, ne se souvient de rien. Bien décidé à reconstituer les événements, il va enquêter. Mais saura-t-il ne pas se laisser broyer par la petite mafia d’Hollywood et surtout lutter contre ses propres démons ?
La paire Brubaker-Phillips, auteure des incontournables Criminal, Fatale ou Incognito, revient avec une sombre fresque sur l’Hollywood de l’après-guerre. Un petit monde du cinéma empêtré à la fois dans ses scandales de moeurs et dans la chasse aux communistes, animé par des moguls tirant toutes les ficelles – même les moins avouables – du milieu, des tâcherons pondant des retouches de script au kilomètre et des gamines montée à l’assaut de la Cité des anges et de la gloire sans avoir imaginé ce qui leur en coûterait. Dans ce théâtre des rêves finalement bien sordide, tout est question de domination et des outils pour l’exercer : violence, chantage, manipulation, drogue, menace, dénonciation, voire meurtre. Au fil de cette longue histoire à tiroirs de plus de 300 pages, on pense bien sûr aux dénonciations récentes d’agressions sexuelles à Hollywood. Mais surtout aux romans de James Ellroy. Toutefois, ici, point de flics ni de détective : juste un scénariste paumé, vétéran traumatisé de la Seconde Guerre mondiale, qui tente de ne pas se noyer dans le whisky ou le travail ingrat qu’il est contraint d’accepter. À ses côtés, d’autres personnages fascinants : un autre scénariste en perdition, cible des anticommunistes; et des actrices déterminées mais brisées de l’intérieur. Ed Brubaker démontre toute sa maestria d’écriture dans ce polar faussement classique, en construisant des protagonistes complexes et en enchaînant des dialogues ciselés. Au dessin, Sean Phillips est toujours aussi à l’aise parmi les ombres, et se montre tout à fait convaincant dans un registre réaliste. Les superbes couleurs d’Elisabeth Breitweiser (surtout dans les scènes de nuit) achèvent de donner à l’ensemble une atmosphère presque irréelle, comme si la lumière des projecteurs de plateau de cinéma étaient filtrée par la vapeur du bourbon, la fumée des cigarettes et le sang des innocents. Magistral.
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