Foot et BD : bonne ou mauvaise idée ?
Les bandes dessinées et autres ouvrages illustrés sur le football refleurissent à chaque Coupe du monde. C’est de bonne guerre, mais la question demeure de l’intérêt véritable de ces bouquins. D’abord car les bandes dessinées sur le sport sont rarement réussies, ensuite parce que le spectre du livre purement marketing plane autour de chaque titre. On apprécie les gags d’un 90 minutes ou les élucubrations foutraques d’un nouveau Tatane chez Gallimard, sous-titré « 50 idées joyeuses pour changer le foot » et illustré par Néjib. On est en revanche plus sceptique devant d’autres publications, 100% opportunistes. Petit tour d’horizon des sorties récentes, entre documentaire sérieux et délire graphique.
Bleus 98, de l’enfer au paradis
Ah, l’épopée des Bleus de 1998 ! Aimé Jacquet, Zinédine Zidane, Lilian Thuram… On la ressasse depuis 20 ans, cette heure de gloire nationale. Pensez, une victoire en Coupe du monde pour la France, la seule de l’Histoire, à la maison en plus, alors que personne ou presque n’y croyait..! Mais fallait-il, encore une fois, y revenir ? Pas sûr… Toutefois, l’intérêt de ce volume écrit par Gérard Ejnès, ancien rédacteur en chef de L’Équipe, est de plonger dans les coulisses de la nomination du sélectionneur, dans les vestiaires des Bleus – entre jalousie, vraie camaraderie et coups bas médiatiques – et de revivre les exploits de cette équipe avec une certaine distance qui n’a rien d’hagiographique. Un intérêt somme toute limité, car l’album n’intéressera que les fins connaisseurs du foot et ses stars : monotone et poussif, car exempt d’une narration bien réfléchie, il n’est jamais vraiment palpitant (eh oui, quand on connaît la fin dès le départ, il faut trouver des astuces pour garder l’attention du lecteur!). Côté dessin aussi, on s’ennuie, le trait de caricaturiste de Faro, s’il fonctionne dans les colonnes de L’Équipe, s’accommode mal d’être étiré sur 56 pages. Honorable compétiteur, ce volume ne devrait toutefois pas remporter pas la Coupe du monde de l’album de foot.
Par Gérard Ejnès et Faro. Jungle, 12,95 €.
Football District
Place au vrai football maintenant. Celui qui est pratiqué tous les dimanches, sur les terrains de France et de Navarre, devant des spectateurs parfois réunis par dizaines. Oui, par dizaines. Un peu ivres, même, parfois. Ce petit monde du football masculin amateur adulte, le jeune Alsacien Timothée Ostermann le connaît bien et le met en scène de façon tendre et drôle dans cet album au design léché, en mode ahuri. Où l’on croise des gros costauds décérébrés, un coach investi, un couple de taverniers qui paraissent aussi importants que le président du club (un patron expert ès saucisses dirige effectivement ce FC Marmoutier), des types qui veulent juste se défouler, d’autres qui rêvent de briller en accédant à la division supérieure. Entraînement dans le soir frisquet (eh oui, qui dit amateur, dit boulot la journée, football la nuit), pintes de bière pour récupérer ensuite, stress du match de Coupe de France contre des vétérans bien plus aguerris, rigolade sous les douches, pintes de bière à nouveau… Le foot amateur, c’est un état d’esprit autant qu’un sport. Et ça, d’un trait synthétique percutant, dans un style cartoon indé, Timothée Ostermann le saisit à merveille, avec un humour jamais bêtement moqueur, mais plein d’amour pour ces joueurs du dimanche. Chapeau !
Par Timothée Ostermann. Fluide Glacial, 96 p., 16,90 €.
Histoires incroyables de la Coupe du monde
Cet ouvrage collectif des éditions Petit à petit permet de remettre dans une perspective historique l’exploit des Bleus en 98. Car le Mondial de foot est né bien avant, en 1930 en Uruguay, avec une poignée d’équipes et des joueurs souvent non professionnels. D’ailleurs le capitaine de l’équipe de France de l’époque n’avait pu s’y rendre, car son patron ne l’avait pas laissé partir pour une compétition naissante et qui prenait deux mois en comptant l’aller-retour en bateau! C’est une des histoires, pas toujours « incroyables » comme le suggère le titre un peu racoleur, de ce volume, aisément accessible au plus grand nombre, notamment aux jeunes lecteurs. Qui iront piocher dans les pages documentaires construites autour de textes courts et informatifs, et dans les courtes bandes dessinées (trois pages) qui illustrent un des événements marquants de chaque Coupe du monde. C’est plutôt bien conçu et rythmé, même si l’ensemble (couverture, maquette, BD…) ne fait pas franchement moderne ni graphiquement très attrayant. Mais c’est instructif, c’est déjà pas mal, non?
Collectif. Petit à petit, 192 p., 19,90 €.
Planète Foot
Un peu dans le même registre, ce petit documentaire sur l’histoire du football et de ses coupes du monde se veut plus adulte et sérieux. Il est en effet signé Pascal Boniface, médiatique dirigeant de l’Institut de relations stratégiques internationales (Iris). Mais rassurez-vous, ce passionné de sport ne délivre pas ici un cours pompeux sur la géopolitique du ballon rond. Par de courts textes, bien ciblés, il explique comment le football est devenu le plus grand empire de tous les temps, plus fédérateur que l’ONU, plus riche que l’Empire romain, plus international que celui de Charles Quint, plus puissant que l’Empire mongol. Mainmise du gouvernement sur son équipe nationale ou sur une compétition, conséquences diplomatiques de heurts sur le terrain, préfiguration d’un État par la constitution d’une équipe, éveil de la conscience politique des joueurs… En citant des articles de presse, des auteurs, des sportifs ou des politiques, Pascal Boniface offre des exemples pertinents appuyant sa thèse, toujours soutenus par des illustrations et des strips efficaes de David Lopez, jeune diplômé d’Émile-Cohl oeuvrant aussi dans l’animation. Un petit bouquin documenté et enlevé, qui pourra séduire et intéresser le spécialiste comme le néophyte. Bien joué.
Par Pascal Boniface et David Lopez. Steinkis, 112 p., 16 €.
Science Foot
Pierre La Police, roi du non-sense, bâtit un univers bien à lui dans le monde policée de la BD. Voici donc que débarque opportunément le deuxième opus de Science Foot, compilation des chroniques parues chaque mois dans l’excellent magazine So Foot, entre 2005 et 2017. Analyses techniques et scientifiques (« l’observatoire des propensions capillaires dénonce les nouvelles coiffures à la mode chez les footballeurs »), anecdotes taclées, recommandations du pointu, rien n’échappe à l’oeil aiguisé des scientifiques du dimanche, entre SF new age, médecine et barbecue. Avec un motto : dribble bordel ! Pierre La Police maîtrise l’art du dribble crétin. Ses outils : une syntaxe défaillante (« Quelles sont les raisons scientifiques que Lionel Messi se faufile tout le temps comme ça? »), des matches impossibles (« PSG Sochaux/Bassin méditerranéen »), une disproportion calculée de formes et des vannes tordantes (Ronaldinho en Mickael Jackson laotien). Les corps se tordent et se distordent, les mots et les visages avec, pour un résultat parodique diaboliquement intelligent. Si vous ne comprenez rien, c’est normal. Humour total ! Mais une certitude avec Pierre La Police : avant même le début de la compétition, on sait déjà qui est le champion du monde de Bretagne à Sochaux contre Tahiti… Allez, grosse ola pour PLP !
Par Pierre La Police. Cornélius, 80 p., 12,50 €.
Football²
Après un ouvrage consacré au cinéma, Martin Sztajman dégaine ses pixels pour mettre le ballon rond au carré. Dans un volume tout en longueur, il propose aux fins connaisseurs de l’histoire et de l’actualité du foot de jouer à ses devinettes graphiques. Reconnaîtrez-vous Zlatan, Pogba ou Juninho dessinés en pixels ? Saurez-vous distinguer les tenues de Manchester City et de la Lazio Rome réduits à des petits carrés de couleur ? Le défi est élevé, mais devrait exciter les footeux les plus pointus (et ouf, y’a les réponses à la fin). Les strips qui s’insèrent au milieu de cette succession de jeux visuels sont plus inégaux, mais apportent une petite bouffée d’air à un ouvrage qui n’est pas qu’encyclopédique. Déroutant et amusant.
Par Martin Sztajman. Cambourakis, 128 p., 15 €.
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