Frantz Duchazeau au rythme de « Blackface Banjo »
Dans Blackface Banjo, il met en scène un pauvre hère à la jambe de bois qui se révèle un formidable musicien, et connaîtra une carrière en dents de scie. Happé par le trait ultra séduisant de Frantz Duchazeau, on plonge dans cette aventure historico-musico-sociétale, installée dans l’Amérique de la fin du XIXe siècle. L’auteur du Rêve de Meteor Slim et des Jumeaux de Conoco Station y croque les minstrel shows, alors en vogue, et imagine même l’existence d’un groupuscule pyromane opposé au Ku-Klux Klan. Il revient sur la genèse de son livre.
Pourquoi vous intéresser aux États-Unis de façon générale, et plus particulièrement à la musique américaine?
Ce goût m’est venu par le biais de films sur le blues. J’écoutais cette musique et un jour, par hasard, je suis tombé sur la série documentaire produite par Martin Scorsese [The Blues]. Je trouvais que l’iconographie de l’époque — les années 20 et 30 — fonctionnait très bien avec mon dessin : l’ambiance moite et poussiéreuse du Mississippi s’accordait avec mon trait en noir et blanc, un peu crade. Après, ça a été un engrenage : Le Rêve de Meteor Slim, Les Jumeaux de Conoco Station… Ce n’était pas prémédité, je me sentais bien dans cet univers — la musique permet de vivre des émotions énormes !
Que sont les minstrels shows ?
Il y a encore deux ans, je n’y connaissais rien… Il s’agit de caravanes d’artistes ambulants, qui parcouraient les campagnes américaines pour donner des sortes de spectacles de rue. pour faire rire, ils n’hésitaient pas à adopter un propos raciste, ultra caricatural, voire carrément ignoble, qui s’adressait à un public blanc. Je n’ambitionnais pas pour autant de mener un combat contre le racisme à travers cet album : je ne pars jamais d’un message, mais d’un personnage.
Qui est Blackface Banjo ?
Il a énormément galéré, il voudrait que la vie lui sourie. C’est une sorte de Charlot, mais en plus dilettante. Sa bonne volonté et sa rencontre avec un Indien malin le portent vers la gloire. Il se frotte aussi au Coon Coon Clan, un groupuscule imaginaire qui brûle les roulottes des minstrel shows, le négatif du Ku-Klux-Klan. Je me suis beaucoup amusé à dessiner ces aventures, comme des pastilles indépendantes de l’histoire : m’accrocher au récit principal m’ennuie, j’ai envie de ruptures, de surprises.
Comment travaillez-vous ?
J’improvise. Je pars d’une case, et je suis les mouvements de mon protagoniste, je fais ce qu’il souhaite. Parfois, je m’y perds, et je pars ailleurs… Je n’ai pas de méthode précise, je ne sais pas construire un scénario cohérent. Je préfère me jeter à l’eau et nager comme je peux. Mais je dois retravailler ensuite. Après avoir réalisé un storyboard, je crayonne puis j’encre au petit bonheur la chance, sans respecter l’ordre des planches. J’aime quand les choses m’échappent, se révèlent changeantes. J’emboîte des pièces comme je ferais un puzzle, je bricole.
Pourquoi utiliser si peu de dialogues ?
Au départ, je voulais réaliser un album muet. J’ai dessiné les quarante premières pages ainsi, et les ai présentées à mon éditeur. Il n’a rien compris… J’ai donc ajouté du texte quand c’était nécessaire — et c’était nécessaire.
Êtes-vous musicien ?
J’écoute beaucoup de musique, je joue de la guitare et du banjo. Pour moi, Blackface banjo s’apparente à un ragtime : le rythme graphique saccadé convient bien au sujet. Mais ce n’était pas voulu, je me suis rendu compte de cette correspondance après-coup.
Quels sont vos projets ?
Je prépare une sorte d’autofiction autour de l’adolescence et de la musique. L’histoire de deux ados qui vont voir un concert de la Mano Negra dans les années 1990… Je ne sais pas encore ce que je souhaite vraiment raconter pour le moment, je peine un peu à avancer. J’ai aussi un projet avec Max de Radiguès au scénario, autour du photographe Weegee, qui photographiait les morts par balle ou les bouches d’égout dans les années 40.
Propos recueillis par Laurence Le Saux
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Blackface Banjo.
Par Frantz Duchazeau.
Sarbacane, 23,50€, le 3 avril 2013.
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Images © Sarbacane.
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