Fred Bernard, amour et écologie en Asie
Entre contes pour enfant et fables pour adultes, généalogie imaginaire et prise permanente avec le vécu, Fred Bernard se promène avec bonheur dans le vaste (et pourtant petit) monde de la bande dessinée. L’auteur vient de fêter ses 40 ans, mais garde un sourire juvénile et une « coolitude » d’ado. Il sort en cette rentrée deux livres épatants, L’Homme Bonsaï et Himalaya Vaudou. Le premier est sa première BD en couleurs: une histoire de pirates, amoureuse et morbide, tirée d’un de ses ouvrages jeunesse. Le second est un plaidoyer drôle et féroce pour la défense de l’environnement, dessiné par Jean-Marc Rochette. Mais, sous des dehors exotiques ou rigolards, ces deux albums adoptent un ton grave qui les rend forts et majestueux.
Développer l’un de vos livres jeunesse en bandes dessinées n’est pas une première pour vous: Jeanne et le Mokélé avait donné La Tendresse des crocodiles et L’Ivresse du poulpe (Seuil). Pourquoi renouveler l’expérience avec L’Homme Bonsaï ?
En écrivant la version jeunesse de L’Homme Bonsaï, illustrée par François Roca, j’ai ressenti la même chose que pour Jeanne et le Mokélé. Il me manquait quelque chose, il y avait des idées que je ne pouvais pas y insérer – comme l’histoire d’amour par exemple. Mais la trame générale de la bande dessinée est globalement la même que celle du livre pour enfant.
D’où vient cette idée d’arbre qui pousse sur la tête du héros ?
D’un cauchemar. Je maigrissais, je perdais mes cheveux et un arbre poussait sur ma tête, sans s’arrêter. À cette époque, un de mes amis était en chimiothérapie, et dans mon rêve je souffrais des mêmes symptômes que lui, avec l’arbre en plus… J’avais aussi lu un livre qui racontait la période où les Occidentaux ramenait des essences rares des antipodes par bateaux. Quand il pleuvait en mer, ils sortaient leurs plantes exotiques sur le pont pour qu’elles puissent être arrosées d’eau douce. J’étais intrigué par cette image d’un véritable bateau-forêt. Au même moment, j’avais vraiment envie d’une histoire de pirates, mais je ne trouvais pas d’angle pour l’attaquer. Ce cauchemar et cette image m’ont ouvert la voie.
C’est aussi un peu une histoire de super-héros…
Oui, le personnage d’Amédée devient très fort une fois que l’arbre poussant sur son crâne est taillé en bonsaï. Il apprend aussi les arts martiaux, conférant au récit un petit côté manga. Par rapport au livre jeunesse, j’ai développé le côté surnaturel de la BD. D’ailleurs, je me suis un peu laissé aller car, si on l’observe bien, on voit mon homme bonsaï changer d’échelle en permanence: quand il attaque les navires, on a l’impression qu’il mesure 3 mètres de haut, alors que sa taille est normale lorsqu’il est avec son amoureuse…
Cette fille se dit folle et va très loin dans son amour pour le héros. Pourquoi mêler à ce point amour et mort?
D’abord, une nana un tant soit peu équilibrée ne serait jamais lancée dans cette aventure avec un tel homme ! Ensuite, je n’invente pas la plupart de mes dialogues, je les tire de ce que j’entends. Un jour, l’une de mes amoureuses m’a dit: « Je suis un peu folle, on va vraiment en chier ensemble. » Et elle n’avait pas tout à fait tort… J’ai donc repris cette phrase dans mon livre, et le reste constitue le classique lien entre Eros et Thanatos. Mais je n’ai pas intégré toutes les idées que j’avais eues pour illustrer la relation de mes personnages. J’avais imaginé une séquence dans laquelle mon héroïne, ayant ses règles, barbouille de son sang l’homme bonsaï. Mon entourage et mon éditeur ont trouvé ça vraiment trop dégueulasse, du coup j’ai évacué la scène…
Pourquoi le récit est-il aussi triste ?
Je voulais parler de l’inutilité de faire continuer la vie. Comme pour les vampires ou les fantômes dans Pirates des Caraïbes par exemple, l’éternité peut être une malédiction. Je désirais également aborder le sujet de l’invulnérabilité, de la toute puissance, dont on se lasse aussi. Mon personnage est invincible, mais une fois qu’il a accompli sa vengeance, il commence à décliner. Et, malheureusement, l’amour ne suffit pas à le sauver… C’est vrai que c’est triste, mais a-t-on envie de vivre jusqu’à 120 ou 150 ans dans l’état d’un vieillard de 80 ? Je ne crois pas.
Contrairement à vos précédentes BD, on a l’impression que ce scénario est plus carré…
Pour cette histoire, je ne pouvais me laisser aller à mes digressions habituelles. Déjà, il existe un récit dans le récit: un capitaine raconte à des matelots qu’un arbre lui a raconté une histoire… Cette narration m’a obligé à être effectivement plus rigoureux, pour ne pas ennuyer le lecteur. De plus, j’avais énormément de choses à raconter dans mes 120 pages, je ne pouvais trop m’écarter d’un chemin déjà tracé. L’Homme Bonsaï aurait pu être un véritable feuilleton à l’ancienne, très long et jamais ennuyeux, avec des passages beaucoup plus développés: la vie de marin d’Amédée, ses aventures sur l’île, etc…
Vous venez également de publier un autre album, avec Jean-Marc Rochette au dessin: Himalaya Vaudou (chez Drugstore). Comment s’est passée la rencontre avec le dessinateur du Transperceneige ou Edmond le cochon ?
Je me rendais au festival Quai des bulles de Saint-Malo, avec des gens d’Albin Michel, auxquels je faisais lire des nouvelles que Télérama m’avait commandées puis refusées, pour un numéro spécial sur Noël. Jean-Marc, que je ne connaissais pas, était là. Il a lu celle qui correspondait au scénario d’Himalaya Vaudou et m’a dit : « Ça, c’est un scénario de BD écrit pour moi! » Comme je n’avais pas envie de le faire tout seul, parce que je ne me sentais pas à l’aise pour dessiner des scènes comiques (je n’ai toujours pas mon permis humour d’ailleurs…), j’ai donné à Jean-Marc une « bible » façon scénario de film, avec des descriptions très sobres de l’action et les dialogues. À lui de se débrouiller avec la mise en scène! Et il a adoré faire ça. Moi, dès que je recevais les planches, je rigolais !
L’histoire met en scène trois personnalités de la télévision qui vont interviewer le « Père Noël », un fanatique de la défense de l’environnement qui transforme les hommes politiques et grands patrons en animaux. Pourquoi faire une BD écolo?
Parce que je suis très remonté sur le sujet ! Je pense que les hommes vont certainement redresser la barre, mais il sera tard, trop tard pour éviter des dégâts considérables causés à la planète. Pourtant, ma génération a grandi dans un monde où la nécessité de sauvegarder la nature était déjà largement admise. Dans les dessins animés de notre enfance, comme Goldorak, il était toujours question de sauver la terre… Mais les décideurs d’aujourd’hui ne semblent pas s’en souvenir. Que fabriquent les types de mon âge, comme Jean-François Copé ou Xavier Bertrand ?!
Votre « Père Noël » a tout de même des méthodes radicales pour alerter l’opinion…
Depuis des années, il tente de faire prendre conscience aux grands de ce monde du danger qui les guette. Mais comme rien ne change, il est à bout ! Et comme il a les moyens d’agir, il le fait. Mais bien sûr, Himalaya Vaudou est aussi une farce… Je suis personnellement plus proche de mon héros, sosie de Nicolas Hulot, qui garde foi en l’homme jusqu’au bout, que du « Père Noël » qui est prêt à s’en débarrasser. Jean-Marc Rochette, lui, serait plus proche de ce dernier personnage…
Quels sont vos projets ?
Je vais continuer à écrire des livres jeunesse, parce que j’adore ça. J’aime la réaction des enfants, qui peuvent être très marqués par certaines images, qu’ils peuvent garder en mémoire toute leur vie. Contrairement au public ado-adulte de la BD, on peut véritablement traumatiser ses jeunes lecteurs, il faut faire attention ! En BD, je voudrais poursuivre les aventures de Jeanne Picquigny, mais j’attends d’avoir mis au clair mes relations avec Le Seuil. Le troisième tome devrait s’intituler La Maladresse du scorpion, et sera très riche, car j’accumule les notes pour son histoire. Et j’ai deux autres projets, dont je ne peux pas encore parler…
Propos recueillis par Benjamin Roure
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L’Homme Bonsaï.
Par Fred Bernard.
Delcourt, 14,95 €, le 26 août 2009.
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Himalaya Vaudou.
Par Jean-Marc Rochette et Fred Bernard.
Drugstore, 19 €, le 16 septembre 2009.
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Images © Fred Bernard – Delcourt / Jean-Marc Rochette -Drugstore
Photo © Olivier Roller
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