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Fred Duval, l'amoureux de la science-fiction

24 mars 2010 |

duval_introLa science-fiction est sa passion et l’uchronie une de ses spécialités. En mars-avril, le prolifique scénariste Fred Duval (Carmen McCallum, Travis, Hauteville House…), 45 ans, sort coup sur coup une jolie fantaisie rétro-futuriste, Nico, et un fascinant récit de politique-fiction autour de la guerre froide, Jour J – Les Russes sur la Lune. Dans le premier, dessiné avec classe par Philippe Berthet, il fantasme un monde des années 60 coloré et glamour, à la technologie dopée par l’étude de la soucoupe volante de Roswell. Dans le second, il imagine, avec Jean-Pierre Pécau en co-scénariste et Philippe Buchet au dessin, ce que seraient devenus les enjeux internationaux si les Russes avaient aussi mis le pied sur la Lune. Une double actualité, tous publics et de grande qualité, qui nous a poussés à poser quelques questions à Fred Duval.

duval_nico_tenueComment est née la série Nico ?
C’est Philippe Berthet qui m’a contacté, car il désirais travailler avec moi. J’étais très flatté, d’autant qu’il m’a laissé carte blanche ! Et cette proposition était confortable pour moi, car j’ai pu réfléchir avec son style graphique en tête, ce qui aide beaucoup. Très vite, je suis arrivé avec l’idée d’une aventure rétro-futuriste. Comme Philippe Berthet est très à l’aise avec l’esthétique années 50-60, j’allais lui proposer de booster cette ambiance avec une fantaisie de SF située dans cette période-là. Il était ravi, d’autant que nous avons cité immédiatement des références BD communes, comme les albums d’Yves Chaland ou le Sabotage de Daniel Torres.

Nico est une uchronie, comme Jour J que vous sortez chez Delcourt début avril. Quelle est la différence d’approche pour les deux titres ?
Pour Jour J, avec mon co-scénariste Jean-Pierre Pécau, nous avons plus une approche d’historiens, avec une véritable volonté de rigueur. Pour Nico, je voulais une histoire d’espionnage au premier degré, avec un peu d’humour mais pas d’ironie. Plutôt comme un James Bond. Mais c’est vrai que dans les deux albums, j’utilise la fameuse question du « et si? ». Dans Jour J, ce postulat est à la base de la série : à partir d’un événement, nous déroulons consciencieusement les événements tels qu’ils auraient pu se passer. Dans Nico, l’idée d’expliquer comment on a pu arriver à des années 60 hyper-futuristes avec des voitures volantes est venue après la décision de réaliser une fantaisie d’espionnage.

duval_jourjLe travail de documentation est donc assez différent…
Oui, bien sûr. Sur Jour J, on passe un temps fou dans les livres, les photos, les films… Par exemple, j’ai trois cases à découper pour le 5e tome, qui se déroule en Nouvelle-Calédonie : j’y suis pourtant allé deux fois, mais je vérifie tout dans des ouvrages pour être le plus crédible possible. Pour Nico, les influences sont plus culturelles. Le contexte des années 60 était politiquement très dur, mais culturellement très fécond, avec notamment les Beatles, Jimmy Hendrix, Philip K. Dick, pour ne citer qu’eux. Cette période à la fois sombre et glamour me fascine, et j’avais envie d’une BD pop. Et il était logique de développer ce côté exubérant puisque le monde imaginé est beaucoup plus avancé du point de vue technologique. À partir de là, la documentation est beaucoup moins importante que dans Jour J car on invente tout !

Philippe Berthet au dessin de Nico, et Jean-Pierre Pécau à la co-écriture de Jour J : comment se sont déroulées ces deux nouvelles collaborations ?
Le travail avec Philippe a été extrêmement agréable, avec une manière de raconter les histoires aux antipodes de celle que j’utilise le plus souvent, avec Christophe Quet notamment sur Hauteville House. Avec ce dernier, nous échangeons longuement sur les storyboards qu’il réalise, c’est très intéressant. Avec Philippe, on ne passe pas par cette étape-là, je découvre la BD à mesure qu’il la dessine, c’est génial! Avec Jean-Pierre Pécau, on se côtoyait depuis des années au sein du label Série B de Fred Blanchard, sans avoir jamais travaillé ensemble. J’appréhendais de travailler avec un type qui écrit beaucoup plus vite que moi, mais ça a tout de suite collé, chacun a rapidement trouvé sa place.

duval_nico_etudeCes deux uchronies sont deux exemples d’une science-fiction tournée vers le passé. N’est-il plus possible d’imaginer le futur ?
Attention, il est vrai que Nico a une esthétique rétro, mais ce n’est pas du tout une série nostalgique. On ne veut pas faire une BD à l’ancienne, mais bien une série d’aujourd’hui qui rend hommage aux années 60. En ce qui concerne la science-fiction, je pense qu’il est toujours possible de faire de la prospective. Mais si on choisit de faire de l’extrapolation totale, on risque d’être très vite démodé et de créer des histoires stériles. En revanche, si on choisit de se focaliser sur les personnages, de mettre l’humain au coeur du scénario, ça marche beaucoup mieux. Car il y aura toujours quelque chose à dire sur le devenir de l’humanité.

Vous êtes l’auteur de séries à succès (Carmen McCallum, Travis…) et d’autres qui marchent moins bien (notamment Meteors – dont le troisième tome sort ces jours-ci). Sur ces dernières, pensez-vous être une victime de la surproduction actuelle de BD ?
Je ne vois pas cela de cette manière. Bien sûr, j’ai été très déçu des ventes de Code McCallum, car je portais ce projet depuis une dizaine d’années, et il n’a pas vraiment trouvé son public. Même chose pour Meteors : nous venons de boucler un cycle de trois tomes et nous allons en rester là, alors que j’en avais douze en tête ! Mais je ne suis pas aigri, car je pense qu’on peut réaliser une série de qualité, même si elle ne vend pas 150 000 exemplaires. Ensuite, selon moi, nous sommes dans une période faste : il y a sans doute beaucoup de mauvais albums qui sortent, mais je pense que nous vivons un deuxième âge d’or de la bande dessinée. duval_nico_mcqueenCela fait 20 ans – depuis que j’ai commencé! – que tout le monde se plaint, qu’on dit que la BD est morte… Or elle est bien vivante, et il y a plein de projets à découvrir. D’ailleurs, je reprends plaisir à lire de la BD et je découvre plein d’albums formidables, comme Le Marin, l’actrice et la Croisière jaune (Poitevin/Hautière, chez Quadrants) ou Block 109.

Et comment voyez-vous l’arrivée de la bande dessinée numérique ?
Elle arrive, c’est sûr. Le nier serait comme si un homme des années 20 se demandait s’il conduirait un jour une automobile… Les supports se multiplient, mais je ne pense pas que le numérique scellera la mort du papier. Nous allons sans doute connaître une intéressante phase de création. À mon avis, les gag-men vont être les rois du pétrole, car le strip est un format parfait pour la lecture sur mobiles. Mais la vraie question posée par ces mutations technologiques est le rôle et la place de l’artiste dans la société. Une société qui commence à être habituée au tout gratuit, et pour qui aujourd’hui, le droit d’auteur ou le prix unique du livre ne font pas partie des préoccupations premières. Alors, soit la société entière trouve les moyens de se mobiliser pour que les artistes puissent vivre, soit ne resteront que les plus forts… Et si les éditeurs s’organisent pour nous payer trois fois moins, on ne pourra plus vivre de la BD. C’est pourquoi je pense qu’une des meilleures chose qui soient arrivées ces dernières années aux auteurs, c’est la structuration d’un syndicat. Mais bon, j’ai encore la naïveté de croire que l’évolution va se faire de manière raisonnable et qu’on pourra encore faire de beaux livres…

Propos recueillis par Benjamin Roure

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Images © Berthet/Dargaud – Buchet/Delcourt – Photo © Roller/Delcourt

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