Fredric, William et l’Amazone
Entre 1922 et 1955, le parcours de deux psys que tout oppose, appelés à devenir deux grandes figures de l’histoire de la bande dessinée américaine. Déroulez le générique d’Amicalement vôtre en écran splitté: à gauche, William Moulton Marston, créateur de Wonder Woman et également inventeur plus ou moins officiel du détecteur de mensonges, businessman accompli et féministe polygame; à droite, Fredric Wertham, psychiatre allemand ami de Freud, immigré aux États-Unis où il sera consulté dans le procès retentissant du serial killer Albert Fish, et défendra la mise en place en 1954 du Comics Code Authority, l’organe de censure de la bande dessinée.
On comprend sans mal ce qui a fasciné, dans le parcours de ces deux hommes, le scénariste Jean-Marc Lainé, ancien de Semic et spécialiste de l’histoire des comics (cf ses passionnantes monographies de Frank Miller et Stan Lee parues chez Les Moutons électriques). Il aurait facilement pu consacrer à Moulton comme à Wertham un ouvrage entier. Et c’eut peut-être été la chose à faire. L’auteur ne parvient jamais à totalement convaincre de la pertinence de monter ainsi en parallèle leur parcours. Lainé l’admet lui-même dans le making-of en annexe de l’ouvrage, ses deux héros ne se sont vraisemblablement jamais rencontrés et si Wertham dénonça Wonder Woman dans les pages de son célèbre pamphlet Seduction of the Innocent (1954), les superhéros étaient à l’époque passés de mode et ne constituaient pas la cible principale de sa campagne de boycott. Lainé adresse bizarrement la question dans une scène d’audition où, à la barre, le psychiatre s’en prend aux crimes stories et récits d’horreur en vogue à l’époque, sans vraiment faire mention de Wonder Woman. Occasion de climax un peu manquée.
À l’exception d’une scène bien artificielle dans un kiosque à journaux où Wertham se désole des couvertures de WW, l’Amazone du titre ne se trouve à l’arrivée jamais vraiment placée à la croisée de la carrière des deux hommes. Les faits sont intéressants, peu connus, mais présentés de manière trop aride. Le joli noir et blanc au lavis et le style graphique sévère adoptés par Thierry Olivier se prêtent à mettre Wertham en scène, moins à détailler la vie haute en couleurs de Moulton. Dommage, on sent le dessinateur à l’aise sur les clins d’œil qu’il adresse aux délires outranciers des publications EC Comics et à leurs inimitables couvertures. De quoi nourrir des regrets sur un traitement plus pop et échevelé qu’auraient pu réserver les deux auteurs à cette immersion un peu trop austère dans les coulisses de l’âge d’or des comics.
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