Gauthier et Labourot s’installent à Brocéliande
« Merlin est mort, vive Merlin ! » Voilà le titre du premier opus d’Aliénor Mandragore, la nouvelle série jeunesse proposée par Séverine Gauthier et Thomas Labourot, aux éditions Rue de Sèvres. Le duo d’auteurs rémois, qui a déjà collaboré à plusieurs reprises (Washita, Garance…), se plonge cette fois dans la magie des légendes arthuriennes, avec la ferme intention de faire souffler un petit vent de folie sur la forêt de Brocéliande. Pour tout connaître des secrets de la série, nous leur avons posé quelques questions.
D’où est venue l’idée d’explorer l’univers de la légende arthurienne ? Quelles libertés vous êtes-vous accordées par rapport à celui-ci ?
Séverine Gauthier : Je ne sais plus vraiment comment m’est venue cette envie, elle remonte à plusieurs années. Mais je trouve cet univers et les personnages qui le peuplent fascinants. Ce qui me plaît par-dessus tout, c’est que cet univers a été enrichi au fil du temps par beaucoup d’auteurs très différents. Des moines qui ont d’abord collecté ces histoires, comme Chrétien de Troyes, aux écrivains contemporains, il existe plusieurs versions de l’histoire de chacun des personnages qui font la légende arthurienne. Même leur mort varie d’une version à une autre ! Je pense que c’est ce qui lui donne cette dimension incroyable. C’est aussi un univers familier pour la plupart des gens, sans compter les adaptations variées au cinéma, à la télévision ou en bande dessinée, entre autres. Il me semble que tout le monde a entendu parler au moins une fois de Merlin et du roi Arthur, ou de la fée Morgane, de Lancelot et de la Dame du Lac. J’ai eu envie de m’amuser à mon tour avec ces personnages et l’histoire d’Aliénor Mandragore prend beaucoup de libertés avec la légende originale. La plus évidente est d’abord le personnage d’Aliénor lui-même. Dans notre histoire, Aliénor est la fille de Merlin, et c’est autour d’elle que s’organise la dynamique entre tous les autres personnages, qui, eux, sont bel et bien issus de la légende arthurienne. Thomas et moi avons toujours voulu nous détacher de la légende originale, tout en glissant partout dans les albums des références exactes et des clins d’œil assez pointus pour les puristes. Le point commun qui unit toutes les versions de la légende arthurienne, c’est le mythique royaume de Bretagne. Il nous a donc paru évident de situer notre histoire et nos personnages dans la forêt de Brocéliande, un lieu fantasmé qui devient un véritable personnage dans les albums.
Vous partagez le même atelier, vous avez déjà collaboré sur de nombreux projets comme Washita, Mon Arbre, Garance, Noodles. On imagine que le duo est bien rodé. Comment avez-vous travaillé sur la réalisation de cet album ?
S. G. : Notre duo est bien rôdé, c’est vrai, mais nous n’avions pas travaillé ensemble depuis le tome 5 de Washita, paru en 2011. Nous travaillons de façon assez classique, j’imagine, et toujours de la même façon. Nous parlons beaucoup de l’histoire et des personnages en amont tous les deux. J’écris un synopsis détaillé et paginé qui décrit chacune des séquences de l’album (les personnages, ce qui se passe, où, quand, pourquoi, etc.) et leur attribue un certain nombre de pages. Ce synopsis me permet de m’assurer que mon album sera bien équilibré, que j’aurai bien la place de tout développer correctement, sans précipiter la fin par exemple. Il comprend aussi quelques passages dialogués, pour donner une idée du ton de certaines scènes. Thomas le relit (l’éditeur aussi) et me donne son avis (l’éditeur aussi). Ensuite, après d’éventuelles modifications, je passe au découpage, à l’écriture de l’album planche par planche en suivant mon fil conducteur. Et Thomas travaille à la mise en scène à partir de ce découpage. Le fait que nous ayons déjà travaillé ensemble sur plusieurs albums rend les choses plus faciles, plus simples. Thomas sait lire entre les lignes et devine toujours parfaitement mes intentions.
Thomas Labourot : Oui, en général, une fois que Séverine m’a donné son découpage écrit, je passe directement à la réalisation, je lui montre un crayonné des planches, plus ou moins détaillé, et si on est OK, je passe à l’encrage. Pour Aliénor, j’ai essayé de travailler de façon plus classique que sur mes albums précédents, en demi-page. Diviser chaque page en deux, équilibre énormément l’album et facilite la lecture. J’ai essayé d’avoir aussi une narration simple, mais qui reste dynamique. J’avais aussi demandé à Séverine de prévoir le plus possible de demi-pages de décors – quitte à parfois avoir des planches plus denses et serrées sur des visages – qui me paraissaient indispensables pour nous plonger vraiment dans la forêt. Car, pour moi, elle est un personnage à part entière de l’aventure…
Pourquoi avoir travaillé avec les éditions Rue de Sèvres ?
S. G. : Sur cette série, nous les avons contactées comme nous avons contacté les autres. Même si nous avons tous les deux déjà publié pas mal d’albums, à chaque nouveau projet, il faut tout recommencer. Bien sûr, c’est plus simple d’appeler nos précédents éditeurs, mais ils ne disent pas toujours oui ! Nous ne connaissions personne chez Rue de Sèvres, mais quand nous leur avons envoyé notre dossier, ils nous ont répondu très rapidement. Nous avons aimé la fraîcheur de leur approche, leur passion et leur vision de l’édition BD, leur enthousiasme pour notre projet et leur implication.
T. L. : Il a fallu faire un choix, et c’est leur discours, leur motivation et leur engouement pour notre projet qui nous ont séduits. Aujourd’hui ils sont vraiment derrière nous et font un véritable travail sur la série et l’album. C’est un plaisir de travailler avec eux.
Quels autres livres (BD, albums, romans) conseillerez-vous aux jeunes lecteurs qui seront séduits par l’univers d’Aliénor Mandragore ?
S. G. : Franchement, je ne suis sans doute pas la mieux placée pour donner des conseils de lecture dans ce domaine. Je n’ai pas lu beaucoup d’ouvrages jeunesse sur la légende arthurienne, et il en existe trop pour savoir par où commencer. On va rester dans les classiques. En BD, il y a l’incontournable saga Arthur de David Chauvel et Jérôme Lereculey qui reste fidèle aux textes anciens. On peut citer le film Excalibur, de John Boorman, qui a toujours été une référence pour Thomas, ou dans un autre genre, l’excellente série Kaamelott, d’Alexandre Astier.
Merlin a déjà été dessiné et représenté de nombreuses fois – on pense forcément, entre autres, à la version Disney. Comment avez-vous traité le cas de ce personnage pour lui donner son originalité ?
T. L. : Pour Merlin, ça a été très compliqué. J’ai fait énormément de recherches, nous voulions quelque chose de simple, mais qui évoque la magie sans ressembler aux autres Merlin. De plus, c’est un personnage qui a deux apparences dans notre histoire… Et c’est en regardant le film Rebelle (Brave) de Pixar, enfin surtout le « art of », que le déclic c’est fait. Leurs recherches sur les personnages et leurs costumes sont extraordinaires. Ensuite, c’est en créant la barbe de Merlin et en y mettant des feuilles pour donner à notre enchanteur son côté « nature » que nous nous sommes dit qu’une fois fantôme, sa barbe perdrait toutes ses feuilles. À ce moment-là, nous le tenions et le visuel final est vite venu.
On vous sent à l’aise dans cette ambiance où la magie et la nature s’entremêlent. Qu’est-ce qui vous a inspiré dans vos recherches et votre documentation ?
T. L. : Effectivement, avec Aliénor Mandragore, je suis revenu à mes premiers amours, la fantasy. J’ai toujours aimé les forêts oppressantes, la magie, les univers qui nous font oublier ce qu’il y a autour de nous, qui nous font rêver, comme Taram et le chaudron magique de Disney, qui, à l’époque, m’avait complètement transporté. Ce dessin animé que j’ai vu enfant m’a marqué à vie, et c’est ce genre de chose que j’aimerais arriver à faire avec mes BD. J’ai encore du travail, mais je tente de suivre cette route… Quand Séverine m’a proposé le projet, j’ai eu des images tout de suite, je voulais une fantasy classique, européenne, et démesurée, mais en restant « Brocéliande ». Je me suis énormément documenté sur la forêt et, ceux qui la connaissent bien reconnaîtront certains endroits, par exemple la tombe de Merlin. Ma documentation est très variée, j’ai des tonnes de photos de forêts de toutes sortes, aussi bien personnelles que trouvées sur le net. J’ai aussi des dossiers d’images qui ne sont pas forcément extraordinaires, mais qui me servent de références pour les ambiances, pour certains détails de nature. Beaucoup de choses, mais celles qui sont toujours à côté de moi sont : un jeu vidéo qui s’appelle Trine dont l’univers visuel est vraiment superbe ; un livre de José-Luis Munuera (Les Campbell en ce moment, dont je suis fan) car José est pour moi un maître dans le domaine de la narration, du découpage et de l’encrage ; et enfin, l’album Iguana Bay de Claire Wendling, qui a toujours été mon inspiration sur le papier. Tout ce qu’elle dessine est juste magique et d’une intensité folle.
Et la suite ? Quelles directions vont prendre les prochains tomes ?
S. G. : Les idées ne manquent pas ! Le scénario du tome 2 est validé et j’en ai presque terminé l’écriture. Il y a des éléments du premier volume que nous avons hâte de développer dans les suivants.
T. L. : Oui, on a énormément d’envies et Rue de Sèvres aussi. Croisons les doigts ! Et puis j’ai vraiment envie de dessiner des dragons ! De la fantasy sans dragons, ce n’est pas vraiment de la fantasy…
Quels sont vos autres projets ?
S. G. : Le tome 2 d’Aliénor Mandragore et deux albums jeunesse qui devraient paraître en 2016 : L’Épouvantable Peur d’Epiphanie Frayeur, avec Clément Lefèvre au dessin, qui sera publié chez Soleil dans la collection Métamorphose ; et le tome 2 de Haida, avec Yann Dégruel aux éditions Delcourt. Pour le reste, les dossiers sont en cours, mais rien n’est signé !
T. L. : Le tome 2, bien sûr. J’ai aussi un one-shot chez Delcourt qui vient de sortir, le tome 4 de Détectives. Je travaille en ce moment sur la fin du tome 11 des Geeks. J’ai commencé à faire deux ou trois petits trucs chez nos amis américains, et d’autres choses chez nous, mais pour le moment chut, rien n’est fait !
Propos recueillis par Romain Gallissot
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Aliénor Mandragore #1.
Par Thomas Labourot et Séverine Gauthier.
Rue de Sèvres, 12 €, le 2 septembre.
Images © Labourot/Gauthier/Rue de Sèvres – Photos © Nicolas Dumoulin – Laurent Galandon
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