Geneviève Marot, envoûtée par Madagascar
Illustratrice, adepte du reportage graphique Geneviève Marot a travaillé dans la presse, l’édition, le carnet de voyages, avant de se lancer dans le reportage dessiné. Membre des Carnettistes tribulants avec Gaétan Nocq – Soleil brûlant en Algérie – elle connaît aujourd’hui une belle consécration en solo avec Sous le tamarinier de Betioky, ouvrage sur l’enfance de l’accordéoniste malgache Jean Piso. Nous avons rencontrée l’auteur au dernier Festival d’Angoulême.
Madagascar est au centre de votre travail.
Je me suis rendue à Madagascar pour la première fois en janvier 2010. C’était pour un reportage dessiné sur les dix musiciens les plus emblématiques ; chacun est un maître dans son domaine et dans l’art de son instrument. L’idée était de rassembler toutes ces identités dans un travail graphique, pour la communication visuelle de leur boîte de production. Depuis, je fais deux voyages par an. Le dessin m’a offert des opportunités : d’autres missions, des reportages, du bénévolat… J’ai été invitée par l’Alliance française et l’Institut français pour monter une grande exposition des planches originales de ma BD, des croquis de mes voyages à Madagascar ainsi que quelques toiles. C’est dans ce cadre que je suis partie faire une tournée des Alliances françaises pour animer des ateliers et présenter Sous le tamarinier de Betioky. Et surtout, j’ai créé un spectacle sous forme de concert dessiné avec le héros de ma BD, Jean Piso. Nous racontons en français et en malgache quelques épisodes de ses histoires de gosse. Il joue ses créations musicales à l’accordéon, accompagné d’un percussionniste et d’un bassiste, tandis que mes dessins en direct sont projetés sur grand écran. J’ai également organisé à Tana un concours pour valoriser des dessinateurs malgaches, ce qui a permis de mettre en lumière de beaux talents !
Quel lien entretenez-vous avec les musiciens ?
Le fait d’avoir été accueillie dans leurs familles lors du reportage dessiné de 2010 m’a plongée directement dans la réalité de leurs vies. Mon voyage a commencé par la ville de Tuléar. Jean Piso me parle de sa fille avec qui je sympathise. Elle a été un guide précieux dans ma découverte de la région. Au bout de trois jours, on apprend que la mère de Jean Piso décède : je suis invitée à accompagner les funérailles, la famille, dans ce moment. C’est une grande preuve d’ouverture et d’amitié. Jean Piso s’ouvre et me parle de son enfance que je raconte ici. J’évoque parfois les difficultés quotidiennes, mais sans misérabilisme. C’est surtout des richesses humaines de ce pays, de l’humour des Malgaches dont j’ai voulu parler. J’ai essayé de respecter la confiance donnée qui m’a permis de vivre en totale immersion.
On vous retrouve dans la BD en train de dessiner, au milieu de la famille.
Le dessin est ma manière de rentrer en contact, de tisser du lien. Une intimité se crée de l’ordre de la complicité. C’est une mise à nu mutuelle. Je m’installe avec mes couleurs, mes carnets, et je retranscris ce que je vis. Lors de mon dernier reportage à Madagascar, je vois qu’un homme, la vingtaine, est intrigué. Il m’invite dans sa case, au milieu de nulle part : il avait dessiné sur tous les murs à l’intérieur de sa maison avec du charbon et de la craie, les seuls outils dont il disposait. C’était très émouvant. On s’est mis à dessiner ensemble. Le lien était noué. Madagascar me donne plein de choses à raconter, c’est une terre extraordinaire qui me nourrit artistiquement.
Comment Jean Piso perçoit votre volonté de parler de sa musique ?
Il est fasciné par l’idée qu’on puisse écrire sa musique. On est dans un monde basé sur l’oralité. J’ai essayé de retranscrire les premières mesures de sa musique dans la BD, un tout petit début d’écriture sur une portée. Mais surtout, j’aimerais pouvoir l’aider à enregistrer son album pour qu’on dise « ce morceau-là, c’est Jean Piso ». Car tout le monde à Madagascar connaît sa musique, sans toujours savoir qu’il en est l’auteur.
Le dernier Festival d’Angoulême, par la polémique, a mis en avant la rare présence féminine dans la BD.
C’est vrai que c’est un monde masculin. Par ignorance ? Bêtise ? Moi, je suis fière de mon travail, je suis là, à Angoulême, comme les autres, avec des mecs, des filles, et surtout, le public est bien présent et je n’ai pas arrêté de dédicacer ! Mes conditions ne sont ni pires, ni meilleures que mes collègues masculins. Je n’ai jamais ressenti ce problème personnellement dans ma carrière. Je vis mon travail comme une succession de belles rencontres. J’ai fait la connaissance au sein de la Boîte à bulles de gens comme Didier Kassaï – Tempête sur Bangui – qui a travaillé dans des conditions réellement difficiles, pendant le coup d’état en Centrafrique : les cinquante premières pages ont brûlé quand un obus est tombé sur sa maison, il a travaillé sur ses planches la nuit à la lumière de son portable… ça relativise nos polémiques.
D’où vient votre passion de la BD ?
Quand j’étais petite, mon père achetait Lucky Luke ou Asterix et Obélix, le jour de leur sortie. On s’asseyait avec mes frères et ma mère autour de lui et il nous lisait l’album à haute voix. Cela rendait ces moments magiques. Aujourd’hui, comme beaucoup d’auteurs, il est difficile de vivre uniquement de l’écriture d’albums. C’est un vrai problème quand je sais que la création d’une BD va me prendre une année entière, voire plus. Et bien que j’aie déjà d’autres projets sur le feu et l’envie folle de me plonger dedans, je ne vois pas dans l’immédiat comment repartir financièrement dans cette aventure.
Propos recueillis par Marc Lamonzie
Bibliographie sélective :
Sous le tamarinier de Betioky, La Boîte à bulles.
Paysannes (les carnettistes tribulants), La Boîte à bulles.
Bringuebalés (les carnettistes tribulants), La Boîte à bulles.
Banlieue nomade (les carnettistes tribulants), Ed. Alternatives.
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