Gipi s’ausculte de près
« Il faut lui briser les mains, et tout de suite », a dit Baru de lui en découvrant son œuvre. L’Italien Gipi, 45 ans, n’est en effet pas franchement handicapé du crayon. Il brosse ses histoires – Notes pour une histoire de guerre, Le Local – d’un trait alerte et hachuré, à la formidable puissance évocatrice. Dans Ma vie mal dessinée, il pousse l’exercice autobiographique assez loin, détaillant des événements marquants de son enfance et de son adolescence, ainsi que des problèmes de santé plus récents. Un ouvrage qui l’a propulsé en tête des ventes dans son pays, par la grâce d’une interview télévisée. Depuis, il a même adapté sa bande dessinée en spectacle. Entretien avec un fils de la Botte expansif et attachant, qui semble vouloir s’installer en France pour de bon.
Pourquoi cette envie de livrer une autobiographie ?
En atteignant l’âge de 45 ans, je me suis rendu compte que c’était toujours le bordel dans mes histoires d’amour. J’ai quitté toutes mes copines depuis mes 18 ans, parfois sans raison. J’ai commencé à réfléchir au pourquoi de cette situation, sans vraiment y réussir. J’ai alors décidé d’en faire un livre. C’est toujours comme ça avec moi : il faut que je couche les choses sur papier pour les comprendre. J’écris en pensant qu’un livre peut faire office de psychanalyse et me soigner.
Et c’est ce qui s’est passé cette fois ?
Oui. J’ai mieux saisi comment une nuit de mon enfance avait pu me changer : celle où, alors que je dormais dans une chambre avec ma sœur, un homme est entré et a essayé de la violer. Au final, rien de grave n’est arrivé, mais je crois que cela a profondément modifié mon rapport aux femmes. Je ne les ai jamais draguées comme le font les Italiens. L’agresseur de cette nuit-là m’a finalement apporté quelque chose de positif : il m’a appris comment un homme ne doit jamais se comporter.
Dans ce livre, vous évoquez aussi votre addiction à différentes substances et l’effet qu’elles eurent sur vous…
De l’âge de 16 à 20 ans, j’ai pris de la drogue, comme énormément de jeunes en Italie dans les années 80. J’ai occulté cinq mois de «folie» auxquels cette conduite m’avait mené. Mais je ne pouvais revenir sur ma jeunesse sans raconter cette période. Je me suis longtemps demandé si je devais le faire, de peur d’influencer mes lecteurs. Mon but n’était aucunement de les pousser à la consommation ! Je voulais être honnête, sans poétiser cette époque. Il m’en reste aujourd’hui une espèce de nostalgie pour la force, la sensation d’invincibilité de la jeunesse, et l’amitié que je partageais avec mes copains.
Comment avez-vous réalisé cet ouvrage ?
Très rapidement, à raison de quatre ou cinq pages par jour. J’ai essayé d’y mettre du tragique et du rire, d’exprimer ces deux facettes qui font partie de ma personnalité. Ce livre s’est fait au moment le plus chaotique de ma vie, où j’étais à cheval entre la France et l’Italie, toujours entre deux aéroports. Arrivé à la page 80, je me suis dit que c’était un beau bordel, et j’ai paniqué. Je ne comprenais pas ce que je faisais… Mais j’avais en tête la fin du livre, c’est ce qui m’a sauvé. J’ai tout improvisé, sans story-board, en impulsant un rythme que je voulais hypnotique. Je me suis lu les pages à voix haute pour en faire une sorte de mantra, et j’ai fait de même avec mes amis. Ça les a rendus fous !
Vous glissez entre des planches en noir et blanc quelques pages en couleurs, racontant une histoire de pirates…
Il me semble que c’est une des faiblesses de cet album. Figurez-vous que j’ai eu envie de les faire pour montrer que je savais bien dessiner, en utilisant des couleurs… Cela m’a aussi permis de faire respirer le livre et de le sortir du morbide grâce à la mer, l’air du large.
Pourquoi ce titre, Ma vie mal dessinée ?
Un jour, dans ma maison en Italie, j’ai trouvé un bloc-notes vierge, avec marqué sur la première page : « Ma vie mal dessinée ». J’avais écrit cela il y a longtemps, avec l’intention de raconter ma vie, mais je ne l’avais pas fait. Du coup, je m’y suis mis. J’aime le double sens possible de ce titre, qui me correspond bien.
Comment l’album a-t-il été accueilli en Italie ?
Il est sorti là-bas en décembre, et a connu un grand succès. Suite à une interview télévisée dans une émission populaire , ses 12000 exemplaires ont été épuisés en une seule journée ! Il a été réimprimé quatre fois depuis. Je ne comprends pas pourquoi… C’est un livre très intimiste, qui raconte des choses extrêmement privées. Après mon passage à la télé, j’ai reçu 500 mails de personnes voulant le lire. Il faut croire que l’exposé de mes faiblesses les a touchés. Je reçois aussi des messages de gens qui ont des problèmes sexuels. Peut-être ai-je été un peu trop franc dans le bouquin ? Dieu ne m’a pas donné de pudeur : quand j’écris, il n’y a que l’histoire qui compte.
Comment êtes-vous venu à la bande dessinée ?
Après des études artistiques et un emploi de prof, j’ai débuté comme illustrateur, notamment dans le genre fantasy. En 1994, quand Berlusconi a gagné les élections pour la première fois, j’ai commencé à faire des dessins satiriques pour la presse italienne. Jusqu’à cette date, je ne m’intéressais pas à la politique, je vivais de façon égoïste, ne pensant qu’à moi. Son accès au pouvoir m’a fait changer : je me suis ouvert sur le monde, des reportages dessinés m’ont fait découvrir la réalité. Sortir de mes habitudes m’a aidé à trouver mon style. Ensuite, je me suis mis à raconter la vie de mes amis, sans la juger et de façon instinctive, au fil de petites histoires. Et puis je suis tombé amoureux d’une Française et je suis venu à Paris, où je compte m’installer pour de bon, à plein temps.
En laissant l’Italie derrière vous ?
C’est un pays sans futur. Mes amis sont quasiment tous au chômage, il est impossible d’y gagner sa vie par le dessin. Rome est devenue invivable : elle est gouvernée par un maire fasciste, qui se vante par affichage public d’avoir fait expulser 30000 immigrés en 2008!
Quels sont vos projets ?
Je me concentre sur le spectacle adapté de Ma vie mal dessinée, qui tourne en Italie depuis cet hiver. Je le joue sur scène accompagné de musiciens, pendant une heure environ. J’aimerais le présenter en France, mais j’ai l’impression que mon français n’est pas suffisamment bon. Je travaille aussi sur un dessin animé, autour de l’anarchiste italien Passannante, qui tenta au XIXe siècle d’assassiner le roi. Il ne réussit qu’à le blesser à la jambe avec son petit couteau, mais fut enfermé pendant 25 ans dans le noir, sur l’île d’Elbe. Ses amis furent tués, et sa famille placée à l’asile. Passannante fut considéré comme l’emblème du mal, étudié par des scientifiques comme tel, et son cerveau fut conservé dans un musée jusqu’à l’année dernière…
Propos recueillis par Laurence Le Saux
Images © Gipi – Futuropolis
Photo © Droits réservés
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Ma vie mal dessinée
Par Gipi.
Futuropolis, 20 €, le 8 janvier 2009.
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Gipi c’est Sfar, Blain, blutch réunis accompagné d’une qualité d’écriture inédite dans la bd française. Gipi c’est fort, c’est très fort, ma drogue à moi c’est ses bouquins.
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Gipi c’est Sfar, Blain, blutch réunis accompagné d’une qualité d’écriture inédite dans la bd française. Gipi c’est fort, c’est très fort, ma drogue à moi c’est ses bouquins.
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