Goodnight Paradise
Venice Beach, ses palmiers, sa plage, ses canaux copiés sur ceux de la Venise italienne et… ses sans- abris. Le quartier emblématique de Los Angeles, haut lieu de la contre-culture californienne, ressemble au cimetière contre le Pacifique où gît le rêve américain. Sa promenade est le point de chute de nombreux marginaux, au grand désespoir de ceux qui essaient de louer leur appart sur Airbnb et aux compagnies de la tech qui essaient d’y installer leurs locaux flambant neufs. Le scénariste Joshua Dysart est le témoin depuis des années de cette crise et a, comme à son habitude, choisi la BD avec Goodnight Paradise pour tenter d’alerter sur son ampleur.
Dysart est un auteur atypique : un pied dans l’industrie mainstream pour laquelle il sacrifie régulièrement au business des superhéros (notamment chez Valiant), l’homme revendique une approche très documentée et même quasi-documentaire de son métier. Même lorsqu’il écrivait le Soldat Inconnu chez DC dessiné par Alberto Ponticelli, il ne l’envisageait que comme un moyen de parler de la situation politique en Ouganda. En 2019, il signait UN3-Urgence Niveau 3, une BD commandée par le Programme alimentaire mondial de l’ONU pour sensibiliser au sort des réfugiés déplacés lors des dernières grandes crises humanitaires.
Sa démarche est la même ici et sans besoin d’un long séjour d’observation à l’étranger, cette fois : ces SDF de Venice, il les croise régulièrement en voisin. Goodnight Paradise est un hommage à ces hommes et ces femmes par le biais de la fiction, mais une fiction aux accents tristement réels. Eddie Quinones est un sexagénaire abimé par la vie qui a appris à mener la sienne loin des autres, dans la rue. Jusqu’au jour où il découvre dans une benne à ordures le corps d’une jeune femme, paumée comme lui, qu’il connaissait de vue, Tessa. D’indifférent au sort de ses compagnons d’infortune, Eddie va brusquement devenir hyper-conscient de l’indifférence qu’on leur réserve à eux, les sans-abris de Venice, même dans de telles circonstances.
En tentant de faire la lumière sur cette tragédie, il va mettre au jour une sale histoire impliquant prostitution, voyous de bas étage et spéculation immobilière dans la plus pure tradition du roman noir californien à la Raymond Chandler. Mais à l’image du dessin d’Alberto Ponticelli, une nouvelle fois de la partie, il ne s’agit pas de styliser à outrance cette histoire tristement ancrée dans la banalité la plus confondante : l’Italien a opté pour un naturalisme brutal, au ras du bitume, plus proche dans l’idée d’une série de David Simon (The Wire) que du Faucon maltais.
La conclusion en est d’autant plus dévastatrice. Dysart nous confiait en interview à Angoulême avoir bataillé 10 ans pour convaincre un éditeur américain de publier cette histoire. Sa pugnacité a payé et même s’il y a de fortes chances que la situation n’en soit pas changée pour autant, l’auteur y apporte au moins une contribution à hauteur d’humain, donnant à voir et à entendre ceux que beaucoup à Venice et ailleurs, ne regardent même pas et écoutent encore moins. Un album puissant et tout sauf inutile.
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