Grandes oreilles et bras cassés
En 2008, la société française Amesys a vendu pour un peu plus de 12 millions d’euros un système d’interception des communications électroniques à la Libye de Kadhafi. Car avant de contribuer à la chute du régime du colonel, les accointances entre la France et la Libye étaient certaines : en plus des contrats connus et encouragés par l’État, certaines transactions étaient restées secrètes. En effet, comment justifier de la vente d’une technologie qui met le peuple libyen sur écoute, permettant l’arrestation et la torture des opposants au régime ?
Jean-Marc Manach est le pionnier du journalisme d’investigation sur Internet. Ses sujets de prédilection : sécurité informatique et protection des sources. Il est l’auteur de plusieurs livres sur le sujet et s’impose comme un spécialiste de la question à l’heure de l’affaire Snowden et des révélations de Wikileaks. Ici, les acteurs sont Khadafi, son beau-frère, Abdallah al-Sanoussi – chefs des services de renseignements libyens, condamné à perpétuité pour l’attentat du DC-10 d’UTA – l’ex-président Sarkozy et le fameux Ziad Takieddine, intermédiaire devenu célèbre par ses révélations.
Cette enquête, dont l’idée a émergé au sein de l’excellente Revue dessinée, est mise en image par Nicoby, qui s’est imposé comme une valeur sûre de la narration graphique avec des enquêtes – La Révolution Pilote 1968-1972 – ou des carnets de voyages – Excursion coréenne ou Manuel de la Jungle.
Le sujet est passionnant, intriguant. On s’étonne, s’inquiète et on sourit aussi, devant la peinture des employés d’Amesys, véritables pieds-nickelés, et représentés comme les personnages de Forton. Malgré tout, plusieurs aspects nuisent à l’ensemble. D’abord, des dialogues trop didactiques et donc peu naturels entre Manach et son collègue. Ensuite, paradoxalement, on se perd facilement dans les méandres de l’affaire et le fil de l’histoire, les liens de causes à effets sont peu lisibles. Enfin, le trait de Nicoby est étonnamment décevant : cette recherche d’un trait plus réaliste, moins rond que d’habitude, peine à convaincre.
Un traitement qui n’arrive pas totalement à entraîner le lecteur, malgré un sujet passionnant et un modèle d’investigation journalistique digne Des hommes du président !
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