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« Grave » et « Denaeus » : Corben entre épouvante et mythologie

8 novembre 2018 |

grave-corben_couvRichard Corben, Grand Prix du festival d’Angoulême 2018. revient en France avec un nouveau livre : un double album intitulé sobrement Grave, « tombe » en anglais. Une bonne nouvelle pour tous les amateurs de ce maître du comics horrifique.

La première partie, Grave – les contes du cimetière, hommage aux Contes de la Crypte qu’il lisait enfant, mais aussi à Creepy et Eerie, les séries cultes de Warren Publishing, suit le même schéma : des histoires courtes, d’horreur et d’épouvante donc, dans un climat poisseux et sur un ton d’une ironie macabre, narguant l’hubris d’individus déjà condamnés aux enfers. Un cocktail sombre et drôle qui ne faiblit jamais malgré la densité : plus d’une trentaine d’histoires rythmées par les ragots de Mag la mégère, jamais avare de coups tordus.

Même si on connaît la recette désormais (Ratgod, Esprit des Morts, Eerie and Creepie, Ragemoor…), on ne se lasse pas de l’incroyable talent de Richard Corben et de son style caricatural inimitable, posé entre l’exubérance calculée et la photographie kitsch: proportions outrancières, sourires carnassiers, grimaces forcées et regards vides… Le résultat graphique est terrifiant – inspirant une sorte de dégoût fasciné – et la lecture délicieuse pour qui aime le genre. Comme un petit théâtre grotesque effrayant de réalisme. Des marionnettes de bois se vengent, des morts sont subtilisés dans des cimetières et des touristes trop sûrs d’eux finissent engloutis dans les sous-sols… Tandis que Corben prend un malin plaisir à se moquer de ces humains gonflés d’orgueil mais finalement bien naïfs. Un exercice de style réussi, tout en tension, magnifié par des encrages puissants, des découpages nerveux et un sens sans pareil des ambiances.

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Pour lire le « deuxième album », il faut retourner le livre. Et là on tombe sur le bien nommé Denaeus, hommage aux classiques et tragédies de l’Antiquité à la sauce Corben. Denaeus doit quitter Knoxnia et sa famille pour rejoindre le roi et célébrer son jubilé à Akrokos. En échange, le héros du nord espère avoir l’honneur de servir le roi. Oui mais voilà, la pythie d’Akrokos voit en Denaeus une menace pour le royaume… Zeus, sa femme statufiée, mais aussi Ulysse et le Cyclope sont recyclés ici, sans oublier le héros bodybuildé, Denaeus, vague réminiscence d’Hercule. Et des références, il y en a bien d’autres pour le curieux…

denaeus_corben_couvDans un registre moins outrancier mais toujours plus expressif, Richard Corben s’amuse à rejouer la tragédie grecque avec son lot de morts et de vivants en proie à la fureur, mais maudits par un sort toujours aveugle. Les planches de combats survitaminés s’enchaînent, alternant avec les palabres de comédiens difformes, toujours plus retors. On manipule, on tue à l’envi, on joue les oiseaux de mauvais augure mais c’est bien le fatum, in fine, qui l’emporte toujours. Ultra-rythmée et complexe sans jamais être ardue à suivre, cette histoire tient en haleine et l’auteur s’en sort avec les honneurs, à l’aise pour imager la terreur à deux pas de la mort ou saisir l’effroi et la souffrance dans un regard. Un peu moins pour tisser une histoire d’amour forte et crédible mais là, franchement, c’est un détail au regard de la maîtrise globale et de la virtuosité du trait.

Et comme toujours avec l’éditeur Delirium, on en a toujours pour son argent : planches en couleurs, bonus, interview du maître et préface de Bruce Jones accompagnent ce bel album, soit 300 pages pour 28 euros seulement. Un travail d’édition sans faille, rendu possible grâce à une opération de crowdfunding.

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Grave – les contes du cimetière (+ Denaeus).
Par Richard Corben.
Delirium, 288 p., 28 €, septembre 2018.

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