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Guy Delisle, souvenirs de papier

1 février 2021 |

© Vollmer-Lo.

© Vollmer-Lo.

Dix ans qu’on attendait un nouveau Chroniques. Après son dernier opus, consacré à son séjour à Jérusalem, et auréolé du Fauve d’or du Festival d’Angoulême en 2012, Guy Delisle effectue dans Chroniques de jeunesse un nouveau voyage, mais dans le temps, cette fois-ci. L’auteur québécois nous raconte ses premiers boulots d’été à 16 ans dans une usine de papier de Québec. Un lieu incroyable, avec ses rouleaux immenses et inquiétants, ses machines hors du temps, et la silhouette de son père, là-haut, quelque part dans les bureaux… Crise de la Covid-19 oblige, nous avons pu discuter par téléphone avec l’auteur qui n’envisage plus de parler de lui. En tout cas, pas tout de suite.

Votre dernier Chroniques remonte à 2011. Pourquoi être revenu à ce type de récits intimes ?

Je voulais parler de cette histoire, l’usine, mon premier boulot, ma jeunesse, et le format s’est imposé tout seul. Pour les précédents livres, Chroniques Birmanes, Chroniques de Jérusalem, par exemple, je notais tout ce qui me paraissait intéressant, bizarre. J’ai fonctionné de la même façon pour ce livre, mais avec mes souvenirs. J’ai une mauvaise mémoire, mais j’ai été impressionné de voir qu’en tirant le fil d’un ou deux souvenirs, il y en a trois ou quatre qui suivaient. Au final, je me suis retrouvé avec plusieurs pages d’anecdotes. Au lieu de voyager géographiquement, je voyageais dans le temps.

Chronique de jeunesse, Guy DelisleAviez-vous réalisé des croquis à l’époque ?

Pour les anecdotes, j’ai vraiment travaillé à partir de ma mémoire. À 17 ans, quand je suis tombé là-dedans, j’étais timide. Je suis arrivé dans ce milieu ouvrier, c’était la nuit, il faisait chaud, c’était très humide… Ça, c’est bien imprimé dans ma tête. Le premier jour, au bout de trois heures, je me disais déjà « Eh bah, c’est long ! » C’était douze heure d’affilée, quand même ! Je me disais que c’était pas possible de tenir… Mais on s’habitue à tout. Et pour le côté graphique, non, je n’avais rien dessiné quand j’étais jeune. Puis, je suis retourné à Québec, il y a 5 ans à peu près, et je suis allé voir l’usine. J’ai fait deux, trois dessins, et cette envie de raconter mes souvenirs dans ce monde ouvrier m’est revenue. Ça me trottait dans la tête depuis une dizaine d’années. Quand j’ai senti que j’étais prêt à vraiment travailler dessus, j’y suis retourné avec un appareil photo. Pour pouvoir dessiner l’intérieur.

Vous parlez du monde ouvrier, de manière touchante, parfois. Est-ce une forme d’hommage ?

Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est un hommage, mais j’étais content de pouvoir parler de toute cette brochette de gens que j’ai croisés là-dedans. Il y en a eu plus, bien évidemment, mais j’ai conservé surtout les plus truculents. C’était aussi une époque intéressante : un passage de la jeunesse au monde adulte, et des études au monde du travail. Je me disais que ça serait aussi le moyen de montrer mon parcours artistique, qui a commencé au coin de la rue, à la médiathèque, en découvrant des auteurs BD. Ce qui m’a motivé à faire ce livre également, c’est mon fils. Il a 17 ans aujourd’hui et plusieurs fois je me suis interrogé : « Qu’est-ce que je faisais à son âge ? Ah, c’est vrai, je bossais là ! » Et puis, enfin, l’usine est super chouette à dessiner ! Je ne sais pas si j’aurais fait cet album sans elle: il y a des gros tuyaux, les rouleaux, la fumée, les câbles électriques. Ça m’a beaucoup plu.

Chronique de jeunesse, Guy DelisleOn ressent une vraie fascination pour ce lieu, qui ressemble presque à un château.

Oui. Plus j’avançais dans l’album, plus j’ajoutais des dessins de l’usine. Ça va crescendo, jusqu’à la séquence où je monte sur les toits et vois ce coucher de soleil, dont je me rappelle encore très bien. Je me suis bien amusé à dessiner cet entremêlement de tuyaux. Plus que mes précédents livres de voyage, même. À Jérusalem, il y a des coins qui étaient beaux, donc ça s’y prêtait pas mal. Mais là, j’ai été encore plus absorbé par ce lieu.

Certains décors relèvent presque de la science-fiction…

Oui, j’avais l’impression de faire du Moebius, des fois. Avec des tuyaux qui dégoulinent, comme dans l’Incal, des textures tordues, suintantes, rouillées. Il y avait un peu un côté Alien.

Travaillez-vous toujours de la même façon sur vos Chroniques, noir et blanc sur papier, avec un aplat de couleur unique sur un élément ou un personnage ?

Le papier, c’est l’outil le plus efficace pour moi. Sauf la couleur, qui se fait sur l’ordinateur. Le noir et blanc, ça me va bien. C’est presque de la ligne claire, je reviens à ce que j’ai lu toute ma jeunesse. Ça a un côté graphique, qui s’équilibre bien avec le texte et l’histoire, simples eux aussi.

Pourquoi le choix du orange ?

J’ai failli tout laisser en noir et blanc, mais il manquait quelque chose. Avec ce orange, il y a un côté vintage qui colle bien. Et avec la chaleur de l’usine, ça s’est imposé tout seul. J’aime bien la bichromie. Ça me rappelle certains vieux imprimés.Chronique de jeunesse, Guy Delisle

Vous parlez de vintage… On pourrait parler de nostalgie à la lecture de l’album…

Pas forcément, mais quand on parle de sa jeunesse, c’est presque obligatoire. C’est une période où tous les choix sont encore possibles… En fait, si, il y a de la nostalgie… Celle d’écouter un vieux vinyle intégralement, dans sa chambre, en regardant juste la pochette. Ça ne se fait plus maintenant. C’est quelque chose que je voulais montrer à mon fils. Quand je vois la façon dont il écoute la musique aujourd’hui, c’est complètement différent. C’était pour lui décrire cette ambiance. L’époque où j’attendais toute la journée à côté du téléphone à la maison pour savoir si j’allais bosser le soir-même à l’usine.

Ce livre, c’est aussi une manière de parler un de Québec ?

L’usine est le personnage principal de la BD et elle est située au centre de la ville. Donc Québec est abordée, mais très légèrement et de façon indirecte. Je n’aurai pas eu la matière pour en dire plus. Par contre, ça m’a amusé d’utiliser le langage québécois. C’était un vrai plaisir de retrouver plein d’expressions de ma jeunesse.

Vous dévoilez pudiquement votre relation avec votre papa…

Oui, je ne suis pas du genre à me confier facilement. Si j’ai atterri dans cette l’usine à l’époque, c’est parce que j’étais fils d’employé. Il est arrivé comme ça dans l’histoire. Je voulais expliquer la relation spéciale qu’on avait, assez légère. Et la seule façon de le faire, c’était par petites touches. Ou alors, il aurait fallu tomber dans le pathos, mais ça n’est pas mon genre. D’ailleurs, Lewis Trondheim [directeur de la collection Shampoing] m’a fait retravailler la fin du livre pour inclure un épilogue sur mon père. C’est vrai que ça manquait.Chronique de jeunesse, Guy Delisle

Votre jeunesse pourrait-elle vous inspirer d’autres albums ?

Je n’y pensais pas, mais c’est vrai qu’en travaillant sur ce livre, j’ai repensé à mes années d’études en Arts plastiques. Par contre, dessiner des classes, des casiers et des couloirs de lycée, ça me motive beaucoup moins. Des projets, j’en ai déjà et, en général, je mets beaucoup de temps à les mûrir. Celui-ci, ça faisait plus de 10 ans que je l’avais en tête. Je ne me voyais pas raconter ma jeunesse, quand j’avais 30 ans [NDLR: il en a 55 aujourd’hui]. Donc j’ai attendu. Aujourd’hui, j’ai d’autres envies. Pas de l’autobiographie, mais de la biographie. J’ai quelques personnages en tête…

Peut-on imaginer un prochain Chroniques du confinement ? Qu’est-ce que cette période vous évoque ?

Rien… Ça m’a même légèrement déprimé avant Noël. Tout ce contexte, le fait de savoir qu’on ne pouvait plus bouger. D’ailleurs, j’ai arrêté d’écouter les infos dès le matin, c’est trop déprimant. Ça ne m’inspire pas du tout, c’est sûr que je ne ferai pas de livre dessus. Lors du premier confinement au printemps, je bossais sur ma BD, j’étais à fond sur mes dessins, chez moi, donc ça ne changeait pas grand-chose côté travail. Mais ensuite, tout l’environnement, le quotidien, les enfants, l’école… Là, ça me fout le cafard.

Avez-vous eu des nouvelles de l’adaptation de Pyongyang au cinéma par Gore Verbinski (le prpjet initial est tombé à l’eau en 2014 après les menaces reçues par différents studios à la sortie du film L’Interview qui tue, qui parodiait le régime nord-coréen) ?

J’ai rencontré Gore Verbinski à Los Angeles, récemment. Il m’a dit qu’il voulait toujours le faire. Mais force est de constater qu’il n’y a rien. Au rythme d’Hollywood, c’est un vieux projet désormais. Et il y avait aussi une histoire de choix d’acteurs… Si Verbinski n’avait pas Steve Carrel au casting, il ne le sentait pas… Ça ne se fera sûrement pas.

Pas de tome 5 pour Le Guide du mauvais père ?

Non, ça s’est clos de façon logique. Ma source, c’était la petite enfance. Mes enfants ont grandi et je pensais que l’adolescence, ça serait assez croustillant. Mais finalement, ça n’est pas un humour que j’ai envie de mettre en page. Des fois il y a des trucs drôles, mais pas tant que ça !Chronique de jeunesse, Guy Delisle

L’animation, c’est une page que vous avez définitivement tournée ?

Oui. Après avoir travaillé en Corée du Nord, je pensais déjà à arrêter l’animation. J’avais une BD avec Dargaud avec laquelle j’espérais gagner ma vie, mais elle ne s’est pas bien vendue. Par contre, les livres que je faisais à côté, Shenzhen, Pyongyang [NDLR: dans lesquels il raconte notamment comment il supervisait la production de séries animées], tout à coup, ont bien décollé. Je me suis dit que j’allais tenter de poursuivre dans la BD pendant cinq ans et voir… Et ça a marché.

Chroniques de jeunesse de Guy DelisleOn ne vous voit pas sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas un outil sur lequel vous aimeriez travailler, comme Lewis Trondheim qui s’essaie à plusieurs formats, sur Instagram notamment ?

J’avais créé un blog à la grande époque des blogs, mais je l’ai lâché progressivement, et ça ne manque pas. Et les réseaux ne m’attirent pas des masses. Lewis, par exemple, il fonctionne de façon ludique. Il voit un truc nouveau, il se dit « tiens je vais l’essayer », et il le fait tout de suite. Il a tout le temps des projets en cours et peut travailler sur plusieurs histoires en même temps. Moi, j’ai beaucoup d’inertie. Le temps que je pense à un projet, ça peut durer très longtemps. Et je ne suis pas capable de faire du multitâche…

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Chroniques de jeunesse
Par Guy Delisle
Delcourt/Shampoing, 15,50€, janvier 2021.

Images © Guy Delisle/Delcourt – photo © Vollmer-Lo.

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