Hamed Eshrat ou une histoire familiale iranienne agitée
Le point de basculement. Voilà ce que décrit l’Iranien Hamed Eshrat, émigré à l’âge de 7 ans en Allemagne, dans Tipping Point. Ou comment, en 1979, son pays bascula dans le chaos avec la révolution islamique orchestrée par Khomeyni. Et, plus particulièrement, comment ses parents Hossein et Aghdas ont réagi. Employé de la Savak, les services secrets du Shah, son père devient alors un «ennemi de la révolution»… Ancien étudiant des Beaux-Arts de Berlin, l’auteur a recueilli le témoignage de sa mère, puis l’a transformé en bande dessinée sobre et touchante, réalisée en noir et blanc. Entretien avec le trentenaire Hamed Eshrat, héritier d’une histoire familiale traumatisante, qui cite parmi ses maîtres graphiques Robert Crumb, Basquiat, Joe Sacco ou Christophe Blain.
Tipping Point est-il un témoignage réaliste, ou bien une histoire vraie romancée ?
Il s’agit d’une histoire vraie, mais le mode narratif altère une partie de sa réalité, car il s’agit d’une autobiographie de ma mère, racontée par son personnage. Il m’a paru important de relater ce qu’elle avait vécu de la façon la moins altérée possible. Mais j’ai tout de même utilisé quelques éléments fictifs, notamment pour les scènes de rêves, afin d’illustrer certaines émotions.
Quand avez-vous commencé à vous intéresser à vos origines ?
Enfant, j’écoutais ma mère lorsqu’elle décrivait sa vie passée à ses amies. Je percevais alors à quel point ces événements avaient influencé ma famille. En grandissant, je me suis passionné pour mes racines. La plupart de ce que j’ai pu lire sur la révolution islamique exprimait une position marquée à gauche. Je suis globalement assez d’accord avec cela mais, d’un autre côté, je ne peux m’empêcher de comprendre les arguments de ma famille, en accord avec la vision politique du Shah. J’ai donc voulu récapituler ce qui a tant marqué mes parents, pour mieux comprendre d’où je viens.
Un déclic particulier vous a-t-il poussé à réaliser cette BD ?
En 2004, à la Foire du livre de Leipzig, j’ai rencontré des artistes du collectif Monogatari – dont fait partie notamment Jens Harder [créateur de la vertigineuse BD Alpha… directions]. Leur exigence en matière de bande dessinée m’a poussé à m’intéresser à ce médium. Cette même année, Persepolis a été publié en Allemagne. Le livre de Marjane Satrapi n’a pas particulièrement influencé ma manière de raconter mon histoire, mais il m’a poussé à faire mon propre album, en montrant une vision très différente de la « révolution islamique ».
Comment avez-vous recueilli les souvenirs de votre mère ?
Elle les a enregistrés sur une cassette. Puis, pour compléter, je l’ai interrogée au téléphone, ainsi que ma grande sœur. Les cassettes ont cet avantage indéniable qu’elles peuvent être indéfiniment réécoutées. Au fil des écoutes, on peut ainsi retenir de nouveaux détails, passés totalement inaperçus la fois d’avant et se révélant finalement importants pour créer le fil narratif de l’histoire. Je me suis aussi documenté en lisant des ouvrages sur la révolution islamique, en cherchant des images sur Internet, en discutant avec d’autres Iraniens et en regardant des films sur le sujet. Ensuite, j’ai commencé à chercher une forme graphique pour l’histoire, en réalisant d’abord des miniatures de mes planches. Cela m’a aidé à organiser la narration, à savoir de combien de pages j’allais avoir besoin.
Comment votre famille a-t-elle réagi à ce livre ?
Je le lui ai dédicacé, et tout le monde était ravi. D’autant plus que j’ai terminé cette BD en même temps que j’ai eu mon diplôme des Beaux-Arts ! Mais la plus heureuse dans l’affaire était ma copine, car j’avais passé les trois mois précédents à travailler entre 14 et 16 heures par jour sur cet album. Elle m’a pris pour un fou…
Pourquoi avoir choisi le noir et blanc pour raconter cette histoire ?
J’aurais très bien pu utiliser la couleur, qui aurait pu imprimer à l’ensemble un look plus seventies. Mais cela m’aurait pris bien plus de temps. Et puis le noir et blanc se prête bien à un récit aussi sérieux que Tipping Point.
Quels sont vos projets ?
Avant de préparer Tipping Point, je m’étais échauffé avec une histoire plus courte, Living in a van, qui sera probablement prochainement publiée par un petit éditeur français. Sinon, je n’ai pas d’autres projets concrets. Je savoure le début de l’automne, avant de chercher d’autres idées.
Propos recueillis par email et traduits (de l’anglais) par Laurence Le Saux
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Tipping Point – Téhéran 1979
Par Hamed Eshrat.
Sarbacane, 16,50 €, le 2 septembre 2009.
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Images © Hamed Eshrat / Sarbacane.
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Dommage que le dessinateur n’ait pas su se démarquer du travail graphique de Satrapi sur Persepolis ! Un paradoxe quand on lit qu’il voulait montrer « une vision très différente » de la « révolution islamique » ! Il faut se donner les moyens de ses ambitions…
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Dommage que le dessinateur n’ait pas su se démarquer du travail graphique de Satrapi sur Persepolis ! Un paradoxe quand on lit qu’il voulait montrer « une vision très différente » de la « révolution islamique » ! Il faut se donner les moyens de ses ambitions…
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