Dans la banlieue de Tunis en cette année 1986, il n’y a bien que le football pour unir les garçons du quartier. Mais il y a une autre chose qui lie le bravache Smurfeddine, le friqué Ghassen, et le blond Farid, qui se traîne son petit frère Slim, le narrateur de cette histoire. Cette chose, c’est la haine de l’instituteur, un homme terrible, grand amateur de punitions, d’humiliations et de châtiments corporels. Alors que les vacances s’étirent, les garçons décident d’aller se venger de leur professeur.

Néjib (Haddon Hall, Stupor Mundi, Swan) s’inspire ici de sa propre enfance en Tunisie, quand les idoles des gamins se nommaient Rambo, Michael Jackson et Diego Maradona. Avec son dessin griffé, tout en mouvement et en expressivité, au sein d’une mise en page d’une apparente sobriété mais finement étudiée – entre grandes cases, pleines pages, jeu sur la verticalité ou l’horizontalité –, il semble en permanence à la recherche du dessin juste, celui qui dit beaucoup avec peu. Sa mise en couleurs, en aplats vifs, fonctionne dans le même esprit. Et le résultat est frappant, puissant, d’une grande intelligence.

Son récit brode autour d’une après-midi pas tout à fait comme les autres, où sa bande de copains glandent, jouent au foot, s’imaginent un futur, et rêvent de rendre la monnaie de sa pièce à leur tortionnaire de prof, incarnation du patriarcat rigide qui n’a que la violence comme mode de communication. Nejib saisit à merveille les temps morts, les moments où il faut inspirer très fort avant de se jeter dans le vide, ceux où l’on peut crâner, et ceux où l’on finit par appeler les amis à l’aide. Et il finit par croquer parfaitement les regards et la posture des gosses qui transgressent, qui dépassent leur trouille, qui affirment qu’ils sont des individus qu’on doit respecter. Qui grandissent, en somme. Dans la douleur, le vertige et parfois sans une bribe d’espoir. Haute Enfance s’impose alors comme un livre rare, surprenant, animé d’un élan vital impressionnant, qui en fait une lecture qui ne laisse pas indemne.