Hawaï Solitudes
Dans une petite maison modeste comme beaucoup d’autres, une mère célibataire tente d’éduquer son enfant et de s’occuper de son père grabataire, tout en assurant son boulot d’infirmière à l’hôpital. Sauf qu’au bout d’un moment, c’est trop lourd, trop dur, trop asphyxiant. Et quand le papi se tue en faisant une mauvaise chute, la mère tourne la page sans une larme et se lance dans le concours de médecine, sans entourer son fils ni accueillir son propre frère qui revient à Hawaï après des années. Et qui ne peut que constater les fêlures profondes d’une famille explosée et les plaies encore vives des discordes du passé.
Dans un décor hawaïen à rebours de tous les clichés, R. Kikuo Johnson, né à Maui il y a 40 ans, compose un drame familial intimiste, où dominent les sentiments de perte et de solitude, tantôt suffoquants, vertigineux ou simplement amers. Là, dans un quartier anonyme, loin des plages de surf et où l’exploitation de la canne à sucre vit ses derniers jours, l’enfant vit seul avec lui-même et un sentiment de culpabilité, lui dont la couverture qui traînait en haut de l’escalier a précipité la chute de cet encombrant papi. La maman, elle, choisit de dresser des murailles égoïstes autour d’elle, poursuivant un objectif unique censé les sauver tous, encore, même si personne ne la comprend. Et le frère, musicien à la carrière de galère et toujours célibataire, débarque avec son sourire débonnaire et son envie de bien faire, et découvre que sa longue absence n’a laissé qu’un souvenir vague et aigre.
Le trait est fin, la mise en scène limpide, alternant la contemplation et le mouvement muet. Où chaque cadrage, chaque regard, chaque geste est signifiant, mais dans le registre de la suggestion subtile et non de la démonstration. On pense un peu à Adrian Tomine (Loin d’être parfait), mais aussi AJ Dungo (In Waves), à Lee Laï (Le Goût de la nectarine) ou à Tom Haugomat (À travers). Mais R. Kikuo Johnson trace sa propre voie, peut-être plus distanciée que celle de ces cousins graphiques, moins sombre peut-être aussi, car au détour des petites cases de ce joli petit format à l’italienne, on sourit parfois et on entrevoit une forme de douceur et peut-être d’espoir. Fragile, mais vivant.
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