Heroes in crisis
Si vous aviez encore un doute sur l’identité du scénariste-star chez DC en ce moment, la profusion de titres signés Tom King que traduit Urban Comics en français est un indice. Tom King par çi, Tom King par là : l’œuvre complète de l’auteur est en cours d’importation et ce n’est pas nous qui allons-nous en plaindre après avoir classé coup sur coup deux de ses titres en tête du top comics de Bodoï de 2018 (Sheriff of Babylon) et 2019 (Mister Miracle).
On en vient au récit complet Heroes in crisis. King y explore les angoisses secrètes des superhéros, à travers un dispositif qu’il avait imaginé dans les pages de Batman Rebirth : le Sanctuaire. De l’extérieur, une ferme banale au fin fond du Nebraska. En réalité, un repaire secret conçu par le Chevalier Noir pour offrir aux superhéros, et même à quelques super-vilains triés sur le volet comme Poison Ivy, un havre de paix où se reposer entre deux missions et vider leur sac. Le Sanctuaire abrite une sorte de super-ordinateur psy capable de les recevoir en séance. Les confessions de tout le panthéon DC retranscrites sous la forme préférée de King, en gaufrier de neuf cases, donnent à Heroes in crisis ses meilleures pages. Les justiciers tête de gondole de l’éditeur s’y épanchent sur leurs doutes et leurs traumas. Plus intéressant encore, on y entend aussi les témoignages de superhéros mineurs, type Lagoon Boy ou Arsenal, pas forcément armés pour gérer le degré de stress engendré par le job.
Le dessinateur principal Clay Mann (qui se fait assister sur l’ouvrage par plusieurs autres artistes dont le complice de toujours de King, Mitch Gerads) excelle à apporter, malgré la contrainte de mise en page, un vrai dynamisme à ces planches, qui sont autant de pauses dans le récit. Car intrigue plus générale il y a, menée tambour battant. En effet, King place tout cela sous le signe d’une enquête policière à la Watchmen : quand débute Heroes in Crisis les derniers occupants du Sanctuaire ont été massacrés. Bien sûr, la Trinité (Batman, Wonder Woman et Superman) va se lancer sur la piste des suspects. Mais elle n’est pas la seule : un certain nombre de pensionnaires récents du Sanctuaire vont eux aussi se mettre en chasse et c’est à une poignée d’entre eux que King va donner la primeur du point de vue.
Dans un joyeux entrelacs de narrations, on suit donc les investigations d’Harley Quinn, Booster Gold, Batgirl ou encore Blue Beetle dans un ballet d’alliances/antagonismes assez réjouissant. King et Mann multiplient les bonnes idées, les bons mots et les scènes-clés – une conférence de presse de Superman dans laquelle King démontre en quelques cases sa parfaite compréhension du personnage. Une fois de plus, c’est la notion d’héroïsme qui est au cœur du sujet mais, abordée sous un angle psy et même philosophique inédits, qui reflètent les interrogations d’un scénariste qui fut aussi dans une autre vie, agent de la CIA. On retiendra
l’inattendu et fascinant personnage de Gnaark, le dernier des Cro-Magnons, surhomme préhistorique lettré dont les ruminations platoniciennes accouchent de séquences très poétiques.
Comme il l’avait déjà démontré dans Mister Miracle, il n’y a décidément que Tom King pour glisser du Rousseau ou du Hobbes dans la bouche d’un superhéros sans que cela paraisse forcé. Ce type est fort, très fort.
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