Herr Seele, créateur dadaïste de « Cowboy Henk »
Pour un journaliste, c’est un cas d’école. Un sujet mouvant, qui ne répond jamais directement aux questions qu’on lui pose, digresse en permanence. Se contredit volontiers, lance des idées tranchées, les achève dans un éclat de rire. Amateur de nonsense, collectionneur de pianos, nourri de culture classique, Herr Seele (auquel le Festival d’Aix-en-Provence a consacré une superbe exposition) est un personnage burlesque, aussi peu saisissable que Cowboy Henk, le héros qu’il a créé avec son compère Kamagurka. Soit un blond idiot au corps de rêve — tantôt chirurgien esthétique, tantôt peintre, tantôt coiffeur… — dessiné d’une belle et sûre ligne claire, dans des couleurs pop. Entretien décousu avec un sexagénaire qui s’autoproclame génie sans rougir.
Qui est Cowboy Henk?
C’est un héros sympa, minimaliste, très beau, sain, rose, comme moi — figurez-vous que j’ai été surnommé le “garçon boucher” alors que je ne mange pas de viande ! Le rire qu’il provoque vient de l’estomac, pas du cerveau. Henk nous permet d’explorer tout ce qui est tabou, le sexe, la maladie… Il est extrêmement reconnaissable avec sa banane à la Elvis Presley. Son corps superbe est naturel, pas bodybuildé, inspiré de peintures de maîtres classiques, comme Rubens. Henk est vintage, et représente un esprit malade dans un corps sain.
Comment est-il né ?
Nous y avons peu réfléchi. Je me souviens que j’étais allongé sur un lit dans une chambre, Kama était assis devant un ordinateur, sa copine chinoise sur les genoux.
Quel a été votre parcours professionnel ?
Jusqu’à vingt ans, je voulais être moine, ce qui ravissait ma famille. Ma mère et ma grand-mère étaient peintres, mon grand-père était résistant, et a été décapité. Mon père était plus simple que ma mère, une femme complexe. J’ai hérité de leurs deux personnalités : je suis un artiste, mais je sais qu’il faut perdre du temps dans la vie. C’est pour cela que j’ai appris une profession simple : j’aurais pu être postier ou ouvrier. Je voulais être luthier mais n’ai pas trouvé de place pour une formation. Je suis donc devenu accordeur de pianos. J’en possède deux cent cinquante — la plus grande collection belge ! Ce métier est une métaphore, il permet d’aider à harmoniser la société. J’ai quelque chose du primitif flamand en moi, j’aime travailler dans mon coin, seul. Je n’aime pas le grand geste de l’artiste, je veux me concentrer sur une activité, dans l’anonymat. La BD est bien pour cela.
Quel type de relations entretenez-vous avec votre complice Kamagurka ?
Kama et moi ne nous voyons jamais dans le privé. Je vis isolé à Ostende, immergé dans l’histoire de l’art. Kama aime se frotter aux autres, il est plus sociable. Nous nous sommes rencontrés quand j’avais dix-sept ans, dans un restaurant macrobiotique de Gand, où il vendait son fanzine. Il était dans sa période punk, fasciné par mon côté “loser dans son monde”, à la Tati. Entre nous, ce fut une remarquable reconnaissance de talents, du génie qui unit. Nous avons tous deux réussi à retenir l’enfance en nous. Nous nous sommes amaigris ensemble en mangeant du riz complet, pour échapper au service militaire. J’ai passé trente ans avec lui, je lui ai donné mes meilleures années. Je suis naturellement drôle, alors que lui tente de l’être, sans y arriver. C’est toutefois le meilleur scénariste de tous les temps de Flandre. Nous devrions avoir une salle entière dédiée au Centre belge de la BD, à Bruxelles. Au lieu de cela, il n’y a qu’une photocopie d’un extrait de Humo. C’est honteux !
Comment travaillez-vous ensemble ?
Kama est le meilleur scénariste du monde. De mon côté, je sais faire des blagues en permanence, mais je ne sais pas les choisir. Lui sélectionne à ma place. Pendant vingt-cinq ans, nous avons fait du théâtre, sous l’influence de Ionesco, Beckett et Bunuel. Nous avons même travaillé pendant trois ans pour Hara-Kiri, nous réalisions un roman-photo. Le Professeur Choron nous devait l’équivalent de 5000€… Avec Kama, nous critiquons la société par le biais de notre travail. Nous avons commencé par une histoire du néant dans De Morgen, avec des cases vides, provoquant les protestations des lecteurs. Avant de travailler pour Humo, le meilleur journal au monde, ou Raw, avec Art Spiegelman. Et puis soudain la télé nous a découverts, nous avons produit des shows.
Quels sont vos projets ?
Nous sommes prêts pour une BD importante, qui touchera tout le monde, adultes et enfants. L’album comptera une soixantaine de pages, et sera traduit en quatre langues. Je veux aussi créer un musée du piano à Ostende.
Propos recueillis par Laurence Le Saux
——————————-
Cowboy Henk
Par Herr Seele et Kamagurka.
Fremok, 26€, avril 2013.
Images © Fremok.
Achetez-le sur Amazon.fr
Achetez-le sur BDFugue.com
————————–
Publiez un commentaire