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BoDoï, explorateur de bandes dessinées – Infos BD, comics, mangas | November 21, 2024















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Hervé Bourhis et sa BD de « musique-cardiaque »

4 juillet 2024 |

Hervé BourhisDessinateur et scénariste, le Bordelais d’adoption Hervé Bourhis est, depuis une vingtaine d’années, un auteur prolifique : rien qu’en 2024, trois BD, créées en trio, duo ou solo, sortent : Formidable – Les années Jack Lang (1981-1992), American Parano – Tome 1, et un ouvrage plus personnel Mon Infractus (quand j’étais DJ). C’est dans l’ancienne faculté de Médecine de Bordeaux (coïncidence ?) que BoDoï a rencontré l’auteur.

En juin 2022, vous avez été victime d’un infarctus. Vous ne l’aviez pas vu venir ?

Cela faisait quelques temps que j’avais des pressions thoraciques qui s’arrêtaient au bout d’un moment. Il y avait aussi en moi une impression de ras-le-bol, de burn-out, de manque d’envie, notamment pour mon travail. Quand l’infarctus est arrivé, je savais que c’était ça, j’étais chez moi, en présence de mon fils. C’est moi qui ai appelé les pompiers mais c’est lui qui a fait la suite. J’avais des antécédents familiaux, mais à l’époque je ne savais pas.

moninfractus_couvDans Mon infractus (quand j’étais DJ), vous évoquez justement votre famille, mais cela reste succinct.

Cette BD c’est un mélange d’exhibitionnisme et de pudeur. C’est une histoire familiale sans l’être. Les autres en payent les conséquences mais c’est à toi de faire en sorte que ça n’arrive plus. C’est quand même un truc hyper personnel et intime. Je les évoque car ils ont été très importants mais c’est surtout des choses à résoudre entre moi et moi-même.

Sont-elles désormais résolues ?

Pas assez de choses malheureusement… Et puis après, le temps passe et on a tendance à oublier. Bon, j’ai arrêté de fumer, je bois moins et je bouge plus, je fais davantage d’activités physiques. Je pense surtout que j’arrive mieux à gérer le stress et la fatigue. Quand j’ai un coup de mou, je m’arrête et je vais me reposer. Je n’ai plus de culpabilité. Avant je bossais comme un taré, de très tôt à très tard, et c’était mauvais. Et puis je ne mets plus mon réveil, je me lève quand je veux. Plein de petits machins cumulés qui font que ça va mieux. Cette expérience fait que je gère mieux mon stress. Je comprends surtout que tout ne se résout pas par celui-ci. Maintenant, j’ai un bilan cardiaque annuel, puis un traitement à vie, que je prends tous les jours et qui n’est pas trop lourd. J’ai même acheté un pilulier ! Et c’est très pratique !

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Dans la BD, l’infarctus semble aussi un prétexte pour parler d’une passion : jouer comme DJ.

Je prenais souvent des notes sur mes expérience de DJ amateur. Cela fait à peu près dix ans que je fais cela. Il m’arrivait des trucs marrants, mais pas fous non plus. D’ailleurs dans la BD, je raconte plein d’anecdotes souvent nulles ! Mais il y a un côté comique. Je me disais qu’un jour j’en ferai un fanzine, quelques feuilles pour les copains. Quand j’ai eu mon accident de santé, les gens m’ont dit : « Tu vas raconter tout ça dans une BD. » Mais je n’avais pas envie, je ne suis pas vraiment client de la BD médicale, je trouve d’ailleurs qu’il y en a trop. Et puis j’ai lu une interview de Laurent Garnier qui parlait de BPM (battements par minute) pour sa musique et je me suis dit que je pourrai mélanger les deux. Je n’ai pas fait une BD médicale mais une BD de « musique-cardiaque » !

bourhis-bio Quelle place tient la musique dans votre vie ?
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Une place primordiale. Une des premières choses que je me suis dites en me réveillant de l’opération, c’est « j’espère que je vais pouvoir repasser des disques ». Il y a un truc dans le métier d’auteur, c’est que tu travailles comme un con chez toi, tout seul, pendant des heures, des jours… Et puis tu vas en festival, tu rencontres des gens, etc. Sans cet équilibre cela ne marche pas. Mais le retour, tu l’as généralement des mois, et même des années après avoir conçu la BD. Et puis j’ai eu cette occasion de passer des disques et j’ai découvert l’immédiateté du retour du public. Dans le meilleur des cas les gens sautent au plafond, parfois non, mais le retour est immédiat, et pour nous c’est top. En 2018, j’ai mixé douze fois, ce qui est pas mal pour un amateur. J’ai d’ailleurs repris les DJ sets, je vais en refaire de temps en temps, parce que ça me fait du bien. C’est mon équilibre et puis ça fait vivre ma collection éclectique. Je ne veux pas juste stocker des disques chez moi. Je veux tout réévaluer régulièrement.

Mon infractus est aussi une BD sur l’amitié.

Ce bouquin-là, je l’ai fait dans une espèce d’état second, de façon inconsciente. Il fallait que ça sorte. J’ai fait en trois mois, avec un dessin rapide. C’était presque cathartique. Alors que cela parle d’amitié, ce n’est pas conscientisé. Pourquoi je l’ai fait ? Parce que j’en avais besoin. Je ne me suis pas dit que j’allais rendre hommage à Rubin Steiner, DJ et producteur que je connais depuis 35 ans – ou à Martial, le disquaire de Total Heaven, qui a postfacé mon livre. Leur présence dans l’album signifie qu’ils occupent une place importante dans ma vie.

americanparano#1_couvCette année, vous avez aussi sorti American Parano., dont l’ambiance n’a rien à voir.

C’est une coïncidence. Elle a été écrite bien avant. C’est un tout autre livre dont je suis le scénariste. J’avais envie d’une ligne claire, donc j’ai demandé à Lucas Varela avec qui je venais de sortir Le Labo. Il a accepté d’enchaîner les deux projets. Je voulais une certaine forme de distance entre le récit polar et le dessin, et éviter l’effet ton sur ton. J’ai aussi pas mal pensé à des séries comme True Detective ou Mindhunter. Je ne suis pas un grand lecteur de polar mais je les regarde en série sur les plateformes. J’ai d’ailleurs vraiment envie de développer le personnage dans d’autres opus. J’ai écrit le personnage de Kim, et ses aventures, comme si j’étais un showrunner de séries Netflix ! D’année en année, on va la voir évoluer, jusqu’à sa retraite. Trois livres sont prévus – un diptyque et un auto-conclusif – mais j’espère aller au-delà.

La musique y est encore très présente.

Ce n’était pas dans le projet initial. C’est l’éditeur qui a eu cette idée de rajouter des émissions de radio. Pour remettre du contexte. Du coup,, comme on a daté précisément l’histoire, j’ai été voir quel temps il faisait ce jour-là, les résultats du base-ball, etc. Et puis effectivement, on a créé cette playlist Spotify, avec des groupes en vogue cet été-là à San Francisco ou des trucs qui font penser au satanisme, puisque c’est le sujet de la BD, ou encore qui ont San Francisco dans le titre. De toute façon, on s’est amusé à faire une BD avec des références artistiques, cinématographiques aussi : Bullitt, Vertigo, etc. Après je ne voulais pas que ce soit trop envahissant, chacun peut lire à différents niveaux.

Comment envisagez-vous la création, vous qui êtes à la fois dessinateur et scénariste ?

Quand j’écris un scénario, j’évite de me censurer. J’écris d’abord et je pense au dessinateur après. Que ce soit moi ou un autre. Si c’est moi qui dessine, il n’y aura pas de bagnoles, pas de décors… En cours de route, le trait s’impose et je commence à penser au dessinateur. Pour une BD très personnelle, comme Mon Infractus, la question ne se pose pas. Je n’allais pas déléguer ça à quelqu’un. Pour American Parano, je savais que je ne serai pas le meilleur serviteur de l’histoire.

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Et pour l’écriture ?

Pour l’écriture, je fonctionne à partir d’idées que je compile dans des carnets, certaines ne donneront rien, alors que d’autres vont, petit à petit, s’imposer. Je travaille actuellement sur un scénario pour une BD qui s’appellera Frangipane et dont les premières notes datent de 2013. Après, je fais un document Word avec tout : dialogues, séquences, etc. Cela représente environ une vingtaine de pages et il y a tout. Je fais souvent ensuite le découpage, le storyboard, qui est l’étape que je préfère. À titre personnel, je pourrais m’arrêter là. Après débute le travail avec le dessinateur que je contacte car maintenant je commence à connaître du monde. Ensuite, on se rapproche des éditeurs car leur boulot est essentiel pour accompagner la sortie et surtout pour défendre un projet. Les projets peuvent être très différents comme par exemple pour Formidable, les années Jack Lang, le troisième album que j’ai sorti cette année, où ce fut une collaboration à trois avec Dorothée de Monfreid et Franck Bourgeron. Et on s’est entretenu une vingtaine d’heures avec Jack Lang. Le processus d’écriture est forcément, encore une fois, différent.

Propos recueillis par Marc Lamonzie

Photo © Marc Lamonzie pour BoDoï

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Mon Infractus (quand j’étais DJ).

Par Hervé Bourhis.
Glénat, 96 p., 20 €, avril 2024.

American Parano #1 – Black House
Par Hervé Bourhis et Lucas Varela.
Dupuis, 64 p., 16,50 €, mars 2024.

Formidable, les années Jack Lang.
Par Hervé Bourhis, Franck Bourgeron Dorothée de Monfreid.
Casterman, 88 p., 21 €, mars 2024.

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