Hervé Bourhis, le touche-à-tout
Dessinateur et scénariste, Hervé Bourhis se définit à travers son éclectisme ; mû par des envies multiples et variées, ce touche-à-tout de quarante ans, tourangeau d’origine et bordelais d’adoption, nous raconte la diversité de ses passions au sein de la bande dessinée, ses envies de travail en solitaire comme sa soif de rencontres enrichissantes. L’auteur de Juniors et de la série des Petits Livres, se confie sur son travail à la terrasse du P’tit Bar où trottine régulièrement un teckel inspirant pour l’auteur.
Prolixe, votre œuvre est marquée par un certain éclectisme. N’y a-t-il pas de fil conducteur dans votre travail ?
Il est vrai que je veux explorer tous les domaines ! Je fonctionne un peu par jalousie : quand quelqu’un exploite un sujet, je veux moi aussi m’y intéresser, je cherche l’émulation dans le travail. S’il est vrai que la nature de mes albums est souvent différente, on trouve des points communs : le road movie est un thème récurrent que l’on retrouve aussi bien dans Le Teckel que dans Juniors. Ce dernier album, par le thème de l’adolescence, rappelle par ailleurs mon premier ouvrage qui évoque la rencontre fictive d’un pré-adolescent avec Boris Vian (Thomas ou le retour du tabou). L’adolescence est un de mes thèmes de prédilection. Je privilégie également dans mes livres les rythmes intenses plutôt que les récits contemplatifs. Je me sens plus comme un David Bowie qui teste tous les genres plutôt que comme un Neil Young qui creuse toujours le même sillon ! Et puis, il faut produire pour vivre ! Enfin, je crois que mon rapport à la musique irrigue tout mon travail. C’est essentiel pour moi.
Toujours scénariste, souvent dessinateur, difficile de vous cerner dans votre approche du métier.
Dans un premier temps, je ne séparais pas les deux activités dans mon approche de la bande dessinée : j’écrivais des scénarios, je dessinais. J’ai suivi des cours du soir aux Beaux-Arts lorsque j’avais 15-16 ans, j’ai ensuite fait une école de design avant de travailler dans la communication. Lorsque j’ai reçu un prix pour mon premier ouvrage en tant que scénariste, j’ai compris qu’il fallait que j’exploite cet atout. Par ailleurs, je continue de beaucoup dessiner comme sur certains de mes albums, c’est le cas pour Le Teckel. Très clairement, lorsque j’écris l’histoire, l’idée du type de dessin émerge et je vois si je préfère le dessiner moi-même ou si un dessinateur possède un trait plus adapté à mon imaginaire. L’envie d’échanger, de produire ensemble, me pousse aussi vers le choix de certains dessinateurs. Pour Piscine Molitor [biographie de Boris Vian] ou Prévert, inventeur, j’ai travaillé avec Christian Cailleaux, dont le trait se prêtait à cet univers, pour Stéréo Club ou Hélas, c’est avec Rudy Spiessert. Je retravaille donc volontiers avec certains dessinateurs. C’est un métier qui peut se pratiquer en solitaire, mais parfois il est essentiel de dialoguer avec d’autres confrères. C’est une des raisons pour lesquelles je travaille chez moi, mais également au sein de l’association 9-33 avec d’autres scénaristes et dessinateurs bordelais.
Qu’avez-vous voulu raconter dans Juniors ?
C’est un mélange à la fois de souvenirs d’adolescence et de mon observation de l’adolescence d’aujourd’hui. Tous les thèmes liés à cet âge m’intéressent. De nos jours, cela me paraît être un âge plus difficile. L’ado a des perspectives bordées, et, en même temps, il est en recherche d’absolu. C’est frustrant ! J’ai également voulu insister sur la place des écrans dans notre société. Ils sont omniprésents dans Juniors, comme dans la réalité. L’exposition aux humiliations ou aux informations malveillantes est constante. J’ai également voulu retranscrire cette bizarrerie morbide, presque fascinante, que l’on retrouve lorsque la jeune fille décède et que son profil Facebook est toujours actif. Dans la réalité, les premières fois où on s’est retrouvé confronté à cette situation, cela m’est apparu comme réellement étrange. Le port du costume nazi par l’adolescent contribue à accentuer le malaise, tout en permettant des moments d’humour. L’idée est de créer des ruptures. On peut voir aussi dans Juniors une synthèse de tous mes centres d’intérêt : l’adolescence, le road movie, la tragi-comédie ou encore la musique avec Dinosaur Jr, qui constitue un fil rouge dans l’histoire et qui a été choisi pour son nom qui apporte une anecdote dans la bande dessinée. La musique est toujours très présente dans mon travail, dans Juniors, mais aussi dans Piscine Molitor, Stéréo Club et, bien sûr, dans Le petit livre du rock. Juniors, c’est surtout l’histoire de l’adolescence, de ses expériences, de ce désir de « faire son malin », de ces moments où tout est grave et rien ne l’est.
Pourquoi avoir travaillé avec le dessinateur Halfbob ?
Je voulais travailler avec lui, car son dessin distancié renforce le malaise, questionne la responsabilité. Ce qui est amusant, par rapport aux réseaux sociaux, c’est que j’ai trouvé Halfbob grâce à Facebook ! J’étais intéressé par son travail et, en 2014, on a travaillé ensemble lors de l’Escale du livre à Bordeaux. J’avais pensé d’abord que Juniors pouvaient faire l’objet d’un blog, puis l’idée d’un album aux dessins proches des illustrations d’un fanzine me paraissait intéressante. Par son univers, Halfbob était la bonne personne. De plus, c’est un auteur qui travaille beaucoup sur la musique et sur les sons rock et indie rock, ce qui m’a tout de suite plu chez lui.
C’est très différent de votre série des Petits Livres, un objet unique dans le monde de la bande dessinée.
À l’origine, il y a ma série co-écrite avec Rudy Spiessert, Stéréo Club, une série résolument musicale qui explorait déjà l’histoire musicale contemporaine ; avec ce thème, je souhaitais faire autre chose que de la fiction. J’avais en tête un ouvrage d’André Degaine publié en 1992, Histoire du théâtre dessinée. Lui, était postier, passionné de théâtre. Il en a fait une histoire illustré en noir et blanc. J’ai travaillé sur une chronologie du rock, j’ai associé des idées, des images, des dessins, afin d’obtenir une sorte de patchwork. Mon travail n’est pas celui d’un historien, même si j’ai, moi aussi, vérifié mes dires et mes sources ; cependant, ma vision, ma subjectivité, prime avant tout. J’ai proposé mon idée à quelques éditeurs indépendants qui ont refusé. C’est, contre toute attente, Dargaud qui a tenté l’aventure. J’ai bossé deux ans, pas forcément bien payé, mais j’étais plutôt libre de créer ma synthèse, comme je le souhaitais, au format désiré. Les « Petits Livres », de par leur forme, sont atypiques chez Dargaud : la couverture est souple, le format carré, les pages plus nombreuses. Le Petit Livre Rock fut un véritable succès d’où les sorties d’un Petit Livre de la bande dessinée en collaboration avec Terreur Graphique (nous traitions chacun une année sur deux) ou d’un Petit Livre de la Ve République. Là j’ai pris plaisir à faire les dessins, notamment les portraits de ces hommes et femmes politiques, mais également à retranscrire l’univers des différentes époques. Les petits livres peuvent être lus de la première à la dernière page, ou de manière plus discontinue, en allant piocher des infos, en feuilletant les pages au hasard. Ces livres répondent à un paradoxe : faire des synthèses rigoureuses et subjectives !
Et maintenant ?
Actuellement, je travaille sur une suite du Teckel, qui devrait sortir en octobre prochain. Je travaille également à une histoire dessinée de l’informatique en répondant à la question : comment en est-on arrivé là ? Enfin, la petite Bédéthèque des Savoirs m’a proposé de participer à un de leurs ouvrages. C’est une nouvelle collection lancée par le Lombard, dont les premiers titres sortiront en 2016. Elle associe un spécialiste d’une question et un dessinateur. Par exemple, le volume sur le cosmos a été écrit par Hubert Reeves avec les dessins de Daniel Casanave. Quant à moi, je travaille sur une de mes passions, déjà présente dans certains albums, le Heavy Metal !
Propos recueillis par Marc Lamonzie
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Juniors.
Par Halfbob et Hervé Bourhis.
Futuropolis, 17 €, janvier 2015.
Le Teckel.
Par Hervé Bourhis.
Casterman, coll. Professeur Cyclope, 16 €, août 2014.
Le Petit Livre de la bande dessinée.
Par Hervé Bourhis et Terreur Graphique.
Dargaud, 19,99 €, novembre 2014.
Prévert l’inventeur #1.
Par Christian Cailleaux et Hervé Bourhis.
Dupuis, coll. Aire Libre, 16,50 €, septembre 2014.
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