Histoire de l’art macaque
Un contact, une révélation, quelques traits griffonnés, Yannick, possédé, vient de découvrir le démiurge tout-puissant, « le grand dieu des singes » qui lui envoie des images ! Le dessin ? Pas un simple amusement, une vraie foi, un horizon que ne comprend pas son pote Romuald, pas encore assez défoncé aux champis ! Qu’à cela ne tienne, les deux compères, en quête de reconnaissance, décident de lancer une carrière artistique… L’oseille pourrait couler à flots plus vite que prévu…
Après l’excellent L’Art et le Sang en 2010, pastiche en forme de jeu de massacre clownesque, Benoît Preteseille (Mardi Gras, Maudit Victor…) balance une deuxième lame avec une farce grinçante et décalée qui revisite toute l’Histoire de l’Art, de l’ère préhistorique à la modernité abstraite, sous un angle à la fois naïf et cynique, pour un résultat furieusement drôle. L’occasion pour Preteseille de singer une institution à travers deux primates innocents ou ambitieux, égocentrés ou valets d’une cause qui les dépasse, mais surtout aveuglés par leur vanité et leur soif de pouvoir. L’auteur égratigne ainsi joyeusement l’Art officiel, dans lequel il perçoit une imposture séculaire, un discours de poseur : mode de m’as-tu vu, pouvoir aliénant de l’argent, conformisme bourgeois, originalité de comptoir, fascination ridicule pour les instincts racoleurs et les monstres sacrés, statut de la critique…
Preteseille n’oublie rien ni personne et évite toujours l’écueil du ton pompeux ou moraliste via quelques trucs narratifs : un anachronisme calculé, des dialogues brefs et incisifs, un rythme vif permis par le dispositif formel, soit une narration fractionnée qui avance page par page, chacune en forme de gag titré qui, ajoutés les uns aux autres, forment un grand tout à l’image d’un comic-strip très classique. Le gag fait ainsi mouche et rejoint une critique plus vaste pour un ensemble toujours cohérent et malin, qui joue le clin d’œil par ses références détournées. Pas de fioritures graphiquement, le trait fragile et tremblant va à l’essentiel pour laisser toute sa place à la force du discours. Qu’est-ce que l’Art ? En quoi une œuvre est-elle légitime ? Preteseille y répond en fustigeant une forme de médiocrité, en détruisant toute autorité, en auscultant des siècles d’incompréhension esthétique, d’ignorance et de cupidité pour mieux retrouver le sens de l’Art et ainsi célébrer sa quête d’absolu. Brillant !
Publiez un commentaire