Des femmes totalement érudites en choses du ballon rond, deux clochards drogués à l’ennui puis réveillés par des commentaires insipides, un enfant pour qui le ballon est source d’aventures fantastiques quand la star planétaire du football, en plein match, décide de se reconvertir en archéologue. Pendant ce temps, Julie trompe son speaker de mari, pas dupe, qui fait entonner aux ultras un « Julie est une p… ! ». Combat de chevaliers ? Guerre de pénis en courtes pattes ? Jeu absurde joué par vingt-deux benêts au QI de chouette ? C’est quoi le football au juste ? Peut-être la « bagatelle la plus sérieuse du monde »…

Actualité oblige – l’Euro en juin, en France  – les BD sur le football, on le parie, vont pulluler. Et pas pour le meilleur. Alors autant trier. Hors-jeu, signé du prometteur Matthieu Chiara, évite la facile posture condescendante pour lui préférer une variation maline sur la nature de ce jeu – source de passion pour les uns, d’indifférence pour les autres – avec une réelle volonté de dépasser les discours plats sans sombrer dans la vaine célébration. Alors comment s’y prend-il ? En multipliant les personnages – enfants inventifs, femmes adultérines ou insupportables d’érudition, star blasée, joueurs excentriques, commentateurs ridiculement sérieux –, les situations loufoques et les dialogues cocasses souvent fins… La métaphore est sexuelle ou guerrière, le discours réflexif, le tout décliné avec un humour absurde plutôt réjouissant.

Avec ces personnages souvent croqués de loin, le trait et le ton trouvent la juste distance tout en maintenant une étonnante dramaturgie, celle du match fou qui ne trouvera son épilogue qu’aux prolongations. Au-delà de la drôlerie, la belle mise en scène recherche aussi l’esthétisme quand le dessin, muet, tente de capter avec force gros plans, dans un élégant ballet de crampons, de jambes et d’herbe qui vole, la technicité et la grâce du geste.

Théâtralité raffinée, humour burlesque, propos subtil, beauté des corps en mouvement, Matthieu Chiara réussit son coup avec Hors-jeu, pas loin de Ruppert et Mulot dans l’esprit. Mais surtout, c’est le talent d’un jeune auteur qui perce à travers cette subtile et fraîche mise au point, entre hommage aux passions et critique d’une forme de régression collective. Ou la fascination du vide… Méditons.