Hubert et Gatignol à la table des ogres
Auteurs enthousiastes de Les Ogres-dieux – Petit, magnifique récit gothique publié dans la collection Métamorphose des éditions Soleil, Bertrand Gatignol, 38 ans, et Hubert, 43 ans, nous content l’histoire de leur ouvrage lors d’une rencontre au 42e Festival d’Angoulême. Ou comment une nuit d’insomnie, ajoutée à l’installation dans un nouvel atelier et à la vision ambitieuse de deux éditrices, peut faire éclore un album éclatant.
Qui est Petit, le héros de votre livre ?
Hubert : Petit est un personnage complexe. Il descend d’une famille aux mœurs brutales, les ogres-dieux, mais a reçu une éducation dénuée de sauvagerie par sa tante, une ogresse curieuse qui aime les humains et leurs coutumes, sans chercher à les dévorer. Et puis il y a l’influence de sa mère, qui cache sa naissance à son père : Petit, comme l’indique son nom (ou plutôt son surnom, car il n’est pas censé exister), n’a pas les dimensions des ogres de sa famille, ni la stupidité de ses frères, un trio reflétant le pire de la consanguinité de la lignée des ogres-dieux ! Petit est différent et il doit faire avec les attentes de sa mère, qui met en lui toute l’espérance de la régénérescence de la lignée, de sa tante, qui tente d’en faire quelqu’un d’humain. Mais aussi il doit composer avec ce père et ses frères auxquels il porte des sentiments contradictoires, entre intérêt et rejet.
Bertrand Gatignol : Mon travail a consisté à faire que le lecteur se sente proche de Petit, à incarner ce qu’Hubert avait dans la tête. Je me mets au service de l’histoire avec pour objectif de faire ressentir les émotions par la mise en scène. Je viens du monde de l’animation et dans mes designs de personnages je crée des archétypes qui, comme des acteurs, vont interpréter des rôles. J’aime plus à me considérer comme un passeur d’émotions ou un metteur en scène que comme un dessinateur de BD, ce que je ne suis pas à temps complet d’ailleurs puisque jusqu’à présent j’ai surtout travaillé dans l’animation !
Une lecture métaphorique de votre livre est-elle pertinente ?
H. : Oui, il est question ici de l’identité, du positionnement dans la famille et des attentes que les parents projettent sur leurs enfants. Mon approche du personnage est nourrie de réflexions personnelles, notamment autour de la notion de «freak», l’idée finalement qu’un monstre est surtout quelqu’un de différent par rapport à la norme établie par la société. Petit n’a pas de nom mais un surnom, il est en quête d’une identité ; il est tiraillé entre les aspirations parfois contradictoires de sa tante et de sa mère, par ce père et cette fratrie qui le rejettent. C’est un être à la recherche de lui-même qui tente de s’affranchir des projections de sa famille, de son éducation, du déterminisme familial…
C’est un livre qui semble très référencé, autant du point de vue du récit que du graphisme.
H. : Je suis un grand lecteur de romans gothiques, d’histoires empreintes de malédictions, que ce soit Le Moine de Matthew Gregory Lewis, Le Manuscrit trouvé à Saragosse de Jean Potocki ou encore Gormenghast de Mervyn Peake. Mes inspirations vont plutôt vers le récit gothique de la fin du XVIIIe siècle – début du XIXe siècle, une période où se dessinent les prémices du romantisme. On a beaucoup pensé aux paysages de château géants abandonnés, ceux qui peuplent les peintures des italiens Desiderio et Piranesi. Un petit côté morbide qui me vient de mon adolescence !
B. G. : J’ai surtout cherché à faire passer des idées fortes, en mettre en évidence les choses essentielles : on parle d’ogres qui dévorent des humains ! La narration doit retranscrire cette réalité, forcément, cela amène à des scènes très crues ! On doit ressentir les émotions au premier degré. Les références sont nombreuses : on pense à Cronos dévorant ses enfants de Goya, aux visages des portraits de Vélasquez sur la famille royale espagnole, où on lisait les affres de la consanguinité, au portrait officiel de Louis XIV… Pour les pages de récit, j’ai pensé à illustrer le texte d’Hubert en m’inspirant des éditions illustrées par Gustave Doré de l’œuvre de François Rabelais, Gargantua et Pantagruel, avec les têtes de chapitres, les illustrations en insert…
Votre publication dans la collection Métamorphose était-elle une évidence ?
H. : Ça s’est fait assez naturellement. Revenons au tout début du projet : j’ai rejoint l’atelier dans lequel Bertrand travaillait, on n’avait jamais collaboré ensemble mais on appréciait mutuellement notre travail. Pendant une nuit d’insomnie, les grandes lignes de ce qui allait devenir Petit avaient germé dans mon esprit, j’avais pris des notes toute la matinée, remplissant un demi-carnet. J’en ai parlé avec Bertrand et on a décidé de le faire ensemble.
B.G. : Barbara Canepa, qui dirige la collection Métamorphose avait flashé sur Pistouvi, mon livre précédent. Je lui ai parlé de notre collaboration avec Hubert, l’idée de nous réunir a enthousiasmé Barbara et Clotilde Vu, sa coéditrice. La porte de la collection nous était grande ouverte. Nous l’avons aussi présenté à d’autres éditeurs, mais ça a été rapidement une évidence que c’était chez Métamorphose qu’il fallait le faire : ailleurs, la noirceur du propos faisait un peu peur ! Barbara Canepa et Clotilde Vu ont eu, dès le début de notre collaboration, l’intuition de l’intensité et du raffinement à donner à l’ouvrage. Elles ont un goût du beau livre : l’album est noir, de grande dimension, riche… Très gothique ! C’est le résultat d’une réflexion à quatre. Barbara, par exemple, m’a poussé à revoir, à de nombreuses reprises, la couverture. On a pu compter sur son œil affuté.
H. : Clotilde a veillé à la qualité textuelle des contes, étant donné que je ne suis pas un écrivain à la base. C’était mon challenge sur ce livre. Avec Bertrand, on avait décidé dès le départ de donner cette forme aux récits parlant de la vie des ancêtres de Petit, afin de laisser de l’espace à la bande dessinée centrée sur Petit. D’habitude, je n’écris quasiment que des dialogues, le reste du scénario étant incarné par le dessin; écrire des contes était un peu flippant ! Au final, c’était moins catastrophique que je le craignais, mais savoir qu’elle veillait au grain m’a permis de travailler plus sereinement sur mes textes ! Il y a une vraie complémentarité chez nos éditrices puisque Clotilde est très littéraire alors que Barbara est très visuelle. Ça a donc été une vraie collaboration entre nous quatre.
Un tel succès appelle-t-il forcément une suite ?
H. : Succès, c’est un peu tôt, mais le démarrage est prometteur. Les 6000 exemplaires sortis le 3 décembre sont partis très vite, alors que ni Bertrand ni moi ne sommes des auteurs très connus du grand public, même si Miss Pas Touche que j’avais fait avec les Kerascoët avait rencontré un vrai succès. Depuis que nous sommes à Angoulême, nous avons réalisé que nous touchons un public bien plus large que nous ne le pensions. Je pense qu’on peut apprécier Petit au premier degré, même s’il y a des références qu’on ne perçoit pas. Il y a plein de niveaux de lecture possibles. Un adolescent de quinze ans pourra, je l’espère, relire Petit des années plus tard et y trouver autre chose qu’à sa première lecture. Toucher un aussi large public est une chose nouvelle pour nous et c’est enthousiasmant. Mais ce n’est pas pour ça qu’on décide ou pas de poursuivre. Encore faut-il avoir des choses à raconter !
B.G. : On a l’impression de ne pas avoir épuisé l’univers des Ogres-Dieux. Mais on ne veut pas simplement faire les aventures de Petit, Tome 2.
H. : On a envie de déplacer le regard pour découvrir les choses d’un autre point de vue et de raconter une autre histoire complète, avec un autre personnage. Pour l’instant, nous n’avons exploré qu’une toute petite partie de ce monde. Petit ne quitte pratiquement jamais le sommet de la montagne, alors qu’il y a tout un monde à ses pieds, un monde habité.
B.G. : Notre collaboration avec Hubert et avec nos éditrices a vraiment fonctionné, donc on a envie de continuer à travailler ensemble.
Propos recueillis par Marc Lamonzie
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Les Ogres-dieux – Petit.
Par Bertrand Gatignol et Hubert.
Soleil/Métamorphose, 26 €, décembre 2014.
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