Ikkyu #1
En cette fin de XIVe siècle au Japon, la société est traversée par des luttes intestines. Mendiant, paysan ou métayer, le peuple est bien peu de choses face au pouvoir des samouraïs. Fils illégitime de l’empereur, Sengikumaru est confié par sa mère au temple Ankoku de l’école Rinzai, situé en plein cœur de Kyoto. Celui qui se fait désormais appeler Shuken découvre la vie spartiate de novice, entre corvées quotidiennes, brimades, méditations ininterrompues et ascèse des plus strictes. Mais le moine en herbe s’accroche et parvient à se distinguer. Il faut dire qu’il n’a pas sans langue dans sa poche dès qu’il s’agit de mettre en boîte un adulte un peu trop importun. « Un vrai petit malin » sévit donc au temple et cela commence à se savoir! Des éloges qui ne l’empêchent pas de prendre la mesure de la détresse du peuple…
À l’instar de La Vie de Bouddha d’Osamu Tezuka, avec qui il a collaboré sur de nombreuses séries d’animation, Hisashi Sakaguchi s’est lui aussi intéressé au bouddhisme à travers l’un de ses plus illustres représentant : Ikkyu Sojun. Personnage fantasque, il incarne à lui seul cette ode à la liberté et à une forme d’anticonformisme, qu’il choisit d’embrasser au fur et à mesure de l’album. Claquant la porte d’un temple réputé, mais aux mœurs douteuses, alors que sa carrière était toute tracée, Ikkyu embrasse un destin qu’aucun sutra de Bouddha ne lui aurait permis de soupçonner.
Regorgeant de poésie, d’humour et d’un farouche sentiment d’émancipation surtout vis-à-vis de croyances religieuses rigoristes, ce héros est aussi l’occasion pour Sakaguchi de donner la pleine mesure de sa maîtrise graphique dès lors qu’il s’agit de s’appesantir sur les détails vestimentaire ou architecturaux. Les kimonos richement parés ou les temples croqués en sont la meilleure expression. Bénéficiant d’une préface fouillée et de nombreuses notes explicatives en fin d’album, ce premier tome nous permet de mieux appréhender la société nippone de cette époque méconnue du grand public occidental, tout en (re)découvrant cette œuvre majeure du manga n’ayant pas pris une ride. Une nouvelle bonne pioche des éditions Revival, après Fleurs de pierre, récompensé à Angoulême. Un must !
Matthieu Morvan
© Hisashi Sakaguchi, 2021
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