Il était 2 fois Arthur
En pleine ségrégation aux États-Unis, Jack Arthur Johnson, boxeur noir et fils d’esclaves affranchis, terrasse tous ses adversaires jusqu’à devenir champion du monde des poids lourds. Comme un pied de nez au destin. Poseur, il aime aussi faire la fête et séduire. Mais rattrapé par les fantômes de l’Amérique, il va devoir fuir sa terre natale. Entretemps, Jack a affronté Arthur Cravan le 23 avril 1916, « le renard face au lion », dans un match truqué dit-on. Poète blanc « aux cheveux les plus courts du monde », Arthur Cravan est presque devenu champion d’Europe par hasard. Comme Jack Johnson, il cultive un goût pour la provocation, lui l’artiste anticonformiste épris de liberté. Au milieu, un petit singe domestiqué qui parle, pense et accompagne les deux hommes sur un fil tendu, témoin d’une civilisation ensauvagée…
Un chassé-croisé en noir et blanc? Il y a de ça dans ce récit en miroir qui raconte l’histoire de deux jouisseurs aux destins symétriques. L’histoire schématique du noir qui se prenait pour un blanc et du blanc qui se prenait pour un noir. Schématique car Il était 2 fois Arthur par Grégoire Carlé et Nine Antico, est une BD bien plus fine que les apparences ne le laisseraient croire. Au-delà de la portée documentaire, claire et jamais lourde – la Belle Époque, la ségrégation en Amérique, le racisme et les milieu conformistes de l’art – Nine Antico (Autel California, Coney Island Baby, Tonight) et Grégoire Carlé (Trou Zombie, La Nuit du capricorne) racontent les destins de deux personnages symboles d’une époque sans pitié, de leurs succès fulgurants à l’inévitable chute. Deux mythes aussi, nourris du feu sacré. Gouailleurs, menteurs et égoïstes, les deux boxeurs avaient l’insolence des rebelles qui se débattent dans un océan de stéréotypes. Le refus des cases et des causes collectives aussi, deux êtres complexes et littéralement indomptables.
La BD met donc en regard ces deux destins méconnus. Une première partie sur Jack Johnson, un pivot au milieu avec le combat mythique, et la deuxième partie (un peu longue) consacrée à Arthur Cravan. L’album joue des symétries et des contrastes dans le fond et la forme. Un bourgeois blanc qui veut redevenir sauvage et un Noir qui veut échapper à la ségrégation, le civilisé et le barbare, le raffiné et le brut.
La grande réussite de l’album est visuelle avec une belle créativité et une recherche permanente : plume et pinceau, stylo et blanco donnent vie à des combats virils et sauvages, font entendre les insultes d’une foule déchaînée, montrent la vanité de personnages tour à tour jouets ou acteurs de leur vie. Séquences pleines d’énergie, nuances de gris et expressivité burlesque ou tragique rythment ces pages pensées comme des arènes où chaque uppercut donné vous met K.O. Reste la boxe, ce noble art qui purge d’une manière ou d’une autre ce qui doit être purgé. Comme un éloge de la transgression à l’énergie brute, qui n’empêche pas le raffinement de la construction. Bien au contraire. Une réussite.
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