Immatériel
Et au début du livre, Horace meurt. À la fin aussi, d’ailleurs. Étrange personnage principal que cet homme reclus qui épouse les murs de son appartement après s’être effondré de solitude. Cela faisait quatorze ans qu’il vivait chez lui n’observant le monde qu’à travers l’écran de sa télévision. Un foyer qu’il hantera durant plus de deux cent pages d’une bande dessinée remarquable de justesse dans son dessin autant que dans ses textes.
La vie, la vraie, en couleur, entre chez Horace après sa mort, à l’arrivée des trois employés d’une entreprise de nettoyage post-mortem. Parmi eux, Adel, le novice, découvre la dose de cynisme que le métier nécessite. Sa faute principale sera d’éprouver de l’empathie pour une existence qu’il doit faire disparaître sur le plan biologique aussi bien que logistique. Il emménagera dans cet appartement, dont la mort soudaine de l’ancien occupant rebute d’autres potentiels locataires. À raison, puisque Horace, dont la présence nimbe les lieux, finira par prendre possession du nouvel arrivant.
La façon d’habiter le monde exerce une véritable fascination sur Jérôme Dubois. Après avoir errer en Corée dans son premier album Jimjilbang (déjà chez Cornélius) et créé un double-album sur l’urbanité avec Citéville (Cornélius) et Citéruine (éditions Matière), il se circonscrit cette fois à l’architecture intime. La figure du reclus vient personnifier notre attachement aux lieux que nous fréquentons, qu’ils représentent un cercueil avant la mort ou un paradis à rejoindre. Dans une bande dessinée jamais caricaturale et d’une empathie profonde pour ceux chez qui le monde s’arrête au seuil de leur porte, l’auteur parisien sublime son art de mêler le vivant et son environnement minéral et creuse encore un peu plus l’énigme du chez soi.
La mort pendant la vie, la vie après la mort, tout s’entremêle dans ce récit au surnaturel humble et au graphisme idoine. Le dessin de Jérôme Dubois est un dessin de silence, au trait pur et laissant une large part au blanc comme pour signifier le vide qui entoure ses personnages principaux. L’ajout d’une colorimétrie rouge, vert et bleu, comme les couleurs de l’écran regardé sans cesse par Horace, viennent ici habiller la vie, une vie à distance pour celui qui a refusé de la vivre. Ajoutons à cela des dialogues rares mais parfaitement ajustés et vous obtenez l‘une des bandes dessinés les plus fascinantes de l’année. Après l’avoir lu, il faudra penser à sortir de chez soi quand même.
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