D’une part, il y a Jean Pasquier, tourneur-fraiseur à la retraite, qui compte les jours à l’hospice, avant sa mort certaine, le corps pourri par l’amiante respirée durant ses années à l’usine. Mais surtout, il rumine une soirée précise, sombre, violente, incompréhensible. De l’autre, un type plus jeune mais pas moins abimé, récidiviste de la bagarre et du petit délit, contraint par la justice à aller se raconter à une psy. À qui il finit par livrer son trauma à lui.

En avançant par aller-retour entre les deux personnages qui, chacun de leur côté, content leur trajectoire de vie jusqu’à cette soirée fatale, et donc par flash-back narrés en voix off, ce polar social de Gilles Rochier (En roue libre, La Petite Couronne) est un modèle d’écriture. Concis et précis dans sa construction, sans faille. Pertinent dans le choix de ses mots, de ses réparties, de son niveau de langue. Ses personnages sont solides et crédibles. La seule petite déception vient, non pas du dessin de Deloupy (Love Story à l’iranienne, Algériennes…) – dont la ligne claire épaisse épouse de manière juste la noirceur de l’histoire, sans en rajouter –, mais de la prévisibilité des rebondissements et des « coïncidences » qui relient les personnages. Alors, bien sûr, pour que le puzzle soit cohérent et complet, il fallait sans doute en passer par là. Mais cela laisse un petit goût de déjà vu, pas désagréable néanmoins mais frustrant pour le lecteur en quête de surprise.