Dans un futur proche, l’Europe est en proie à des catastrophes en cascade liées au dérèglement climatique et ses habitants cherchent à fuir le continent. Alors que le Royaume-Uni a fermé ses frontières, c’est l’Islande qui ressemblerait à la Terre promise. Or l’île nordique est déchirée par des conflits internes, et la traque des migrants s’intensifie. Le taiseux Liam est l’un de ces sans-papiers cherchant à survivre, et a débarqué là-bas avec le fameux Pr. Zizek qui serait porteur d’un espoir en matière de botanique. Mais la violence et la terreur se répandent plus vite qu’une épidémie : parviendront-ils à survivre et atteindre leur objectif?

Après le remarqué Sangoma, le romancier Caryl Férey et le dessinateur Corentin Rouge s’associent pour un projet encore plus ambitieux : une volumineuse trilogie d’anticipation crédible, un thriller éco-politique haletant et très noir. Tirant les fils de l’idée selon laquelle l’Europe serait en train de s’effondrer et ses ressortissants connaîtraient le même sort que les migrants africains ou orientaux d’aujourd’hui – et même encore pire, avec tir à vue aux frontières et camp de concentration aux mains de truands sanguinaires –, et situant intelligemment son intrigue sur un territoire éloigné, Caryl Férey peut pousser les curseurs à fond. Ses personnages oscillent entre victimes idéales, coupables par nécessité ou belles âmes dépassées par les enjeux. Et la longueur du projet (ce premier tome compte 160 pages !) lui permet de prendre le temps de s’enfoncer dans la noirceur et le désespoir, ce qui n’est pas si courant en bande dessinée. Dès lors, le trait réaliste de Corentin Rouge, magistral dans ce registre et devenu rare à ce niveau de maîtrise, fait merveille : ses grandes images en pleine ou double page impressionnent, tout comme la fluidité dans la mise en scène des séquences d’action. La grande BD de facture classique, léchée et palpitante, est toujours bien vivante. Et celle-là fait froid dans le dos.

Islander – Tome 01