Jason, conteur déconnecté
Son trait a la même élégance que celui d’Hergé. Ses histoires ont le découpage sobre et efficace de celles de Lewis Trondheim. Ses intrigues ont l’humour noir et pince-sans-rire du cinéaste Ari Kaurismäki ou de l’écrivain Arto Paasilinna. Pour résumer, Jason a du talent. Nous avons voulu rencontrer ce géant norvégien, timide et roux, qui s’est installé en France pour sa culture BD. Il publie ce mois-ci un excellent recueil de nouvelles dessinées, Low Moon (Carabas), et annonce pour janvier Les Poches pleines de pluie (toujours chez Carabas), compilation de ses premières réalisations. Entretien.
Est-ce bien Tintin qui vous a donné envie de faire de la bande dessinée ?
J’appréciais aussi les comics américains ou des séries comme Gaston Lagaffe ou Lucky Luke. Mais j’aimais tout particulièrement Tintin à cause du dessin et des histoires. La première bande dessinée que j’ai réalisée, à l’âge de 13 ans, était une copie de Tintin. Il faut avouer que la ligne claire d’Hergé semblait plus facile à reproduire que le trait d’Astérix.
Quand avez-vous commencé à travailler dans la bande dessinée ?
Au lycée, en Norvège, je dessinais des strips et des histoires courtes pour un magazine de bandes dessinées. L’argent que je gagnais alors, je le dépensais en albums. Durant cette période, j’ai découvert des BD adultes comme celles d’Enki Bilal ou Moebius. Après mon service militaire, j’ai intégré une école d’art. Mais comme le magazine pour lequel je dessinais n’existait plus, j’ai dû faire un emprunt pour poursuivre mes études.
Pourquoi représentez-vous tous vos personnages sous des traits animaliers ?
Je me pose souvent la question et je n’ai pas trouvé de réponse satisfaisante. Ces personnages à têtes d’animaux sont bien adaptés à mes histoires muettes qui se rapprochent de fables.
Autre signe distinctif, les yeux de vos héros sont des trous blancs sans pupilles. Ce qui n’est pas facile pour faire passer des émotions. Pourquoi vous imposez-vous cette contrainte ?
C’est une technique efficace. Les scènes sont plus drôles ou plus tristes si les personnages ne montrent pas leurs émotions. Car le lecteur doit plus s’investir dans l’histoire. C’est un procédé qu’utilisait Buster Keaton et que l’on retrouve dans les films d’Aki Kaurismäki ou Jim Jarmush.
Dans Low Moon, votre dernier album paru chez Carabas, vous revisitez le western. Mais chez vous, les cowboys ne font pas très peur. Leurs duels se font via un jeu d’échecs et ils préfèrent le capuccino au whisky. Sont-ce là les héros du XXIe siècle ?
Parfois je me sens en marge du présent. La plupart des films qui m’influencent sont ceux des années 30 à 50. Une époque où il n’y avait heureusement pas de téléphones portables. Le western est une période où l’incursion de la modernité s’est imposée comme un rouleau compresseur. L’aborder me permettait de parler de cette impression de déconnexion face à notre monde moderne.
Low Mow est un recueil de nouvelles dans lequel vous détourner de nombreux genres – le western, le polar. Qu’est-ce qui vous plaît dans cet exercice ?
Je suis très influencé par les films, ceux de Laurel & Hardy ou de Buster Keaton notamment. J’aime le cinéma de genre, comme les films noirs, pour les règles qui lui sont inhérentes. Car vous êtes toujours libre de les transgresser, d’aborder d’autres sujets. Le fait d’être déconnecté par rapport au genre crée le ressort comique.
Dans Hemingway, vous mettiez en scène Hemingway, Joyce ou Fitzgerald. À un détail près : chez vous ces écrivains sont des auteurs de bandes dessinées. Avez-vous créé ce décalage pour critiquer l’estime dans laquelle on tient les auteurs de BD ?
Non, ce n’était pas critique. Hemingway est l’un de mes auteurs préférés. J’ai lu sa biographie, ses lettres personnelles et ses mémoires. J’avais envie d’utiliser ces informations dans une histoire sans être obligé d’écrire une vraie biographie. Le transformer en un auteur de bandes dessinées était un bon moyen. Dans l’album, quand il parle de sa création, c’est moi qui m’exprime par sa bouche. Je suis nostalgique de la période à laquelle il a vécu ; je pense que la vie y était plus simple. Toujours pour la même raison : il y avait moins de technologie.
Vos albums ont été plusieurs fois nommés aux Eisner Awards ou au festival d’Angoulême. Comment expliquez-vous votre succès international ?
Même si je suis Norvégien, mes histoires ne le sont pas. Au contraire, j’ai été influencé par des auteurs américains et français. J’ai vécu dans des endroits variés : Bruxelles, Seattle, New York… Pour ne pas me répéter, j’aime bien situer mes albums dans des lieux différents, généralement celui où je me trouve. Les Trois Mousquetaires se situe ainsi à Montpellier. C’est pratique de pouvoir simplement se pencher à la fenêtre quand on a besoin de documentation.
Quelle est la place de la bande dessinée en Norvège ?
La bande dessinée franco-belge ne fait pas partie de la culture norvégienne. Là-bas, il n’y a pas d’albums cartonnés et le lectorat est réduit (on ne compte que 4 millions de Norvégiens). Alors la plupart des auteurs de bandes dessinées émigrent. Comme moi qui me suis installé à Montpellier. J’ai préféré habiter en France plutôt qu’aux USA, parce que je suis plus influencé par la BD franco-belge.
Propos recueillis par Allison Reber
© Jason – Carabas
________________________________________
Low Mow par Jason.
Carabas, 20 €, le 19 novembre 2008.
Achetez Low Moon sur Amazon.fr
________________________________________
Commentaires