Javi Rey, l’élégance espagnole
Adepte de la ligne claire, comme son compatriote Jaime Martin, Javi Rey s’est fait remarquer en France d’abord par sa collaboration avec Frank Giroud sur Secrets – Adelante, puis grâce au plébiscité Un maillot pour l’Algérie, scénarisé par Kris et Bertrand Galic. Le dessinateur catalan de 34 ans vit et travaille à Barcelone, et sort en France en juin Intempérie, toujours chez Dupuis/Aire libre. Rencontre avec un auteur au cosmopolitisme assumé.
Quel est ce nouveau livre, Intempérie ?
C’est un travail en solo, autour de l’adaptation du roman d’un écrivain espagnol, Jesus Carrasco, Intempérie, un gros succès traduit dans plus de vingt pays. Il s’agit de l’histoire d’un enfant qui doit fuir une situation compliquée. On comprend qu’il y a une menace, celle d’une persécution, de la maltraitance. On est sûrement dans les années 1940, dans un village de la Meseta espagnole. Il fuit la seule chose qu’il ait jamais connue, cette vie hostile, et seule la rencontre avec un vieux berger va l’aider à survivre. Il y a comme un mélange de western et de roman d’initiation, du passage de l’enfance à l’âge adulte. Une histoire de souffrance mais nuancée par une approche poétique… Bien que l’on sente que le récit est sis dans un contexte espagnol, l’universalité du récit est mise en avant.
C’est donc la première fois que vous sortez vraiment de la BD historique.
Exactement. D’autant plus que c‘est la première fois que je ne fais pas que le dessin, mais que j’envisage la totalité de l’oeuvre. C’est un travail très différent. Penser au rythme de la narration est un travail qui m’intéresse beaucoup. Le choix de ce qu’on appelle en français le « roman graphique » me donne plus de liberté. De plus, travailler de nouveau avec Dupuis, après l’expérience d’Un maillot pour l’Algérie, offre une certaine assurance : le marché franco-belge possède une plus grande base de lecteurs et on peut y vivre en tant que dessinateur. En Espagne, les auteurs doivent très souvent combiner leur travail de bande dessinée avec d’autres commandes dans la publicité ou la communication, par exemple.
Comment vous êtes-vous formé ?
À l’école Joso, une école de bandes dessinées et d’arts visuels à Barcelone, par laquelle de nombreux dessinateurs espagnols sont passés comme Jordi Lafebre [Les Beaux étés] ou Roger Ibañez Ugena [Jazz Maynard]. Cette école du quartier de Sants est aussi un super tremplin, car elle organise des expositions, met en contact les élèves avec des éditeurs. De nos jours, je suis aussi inspiré par Jaime Martin, qui fut un de mes professeurs. C’est intéressant pour moi car c’est un Espagnol qui a percé dans la BD franco-belge. C’est un chemin dans lequel je suis déjà engagé et que je voudrais poursuivre. J’aime beaucoup aussi José Homs, le dessinateur de Millenium scénarisé par Sylvain Runberg.
Vous êtes donc né en Catalogne ?
Non, à Bruxelles ! Ma mère y travaillait dans l’atelier de Peyo comme secrétaire ! C’est une anecdote que je raconte rarement mais qui est drôle. Mes grands-parents espagnols ont émigré en Belgique pour le travail. Mais mes parents sont revenus en Espagne quand j’avais deux ans. Je n’ai donc de belge que le lieu de naissance… En fait, je me considère plutôt comme européen.
Comment définiriez-vous votre dessin ?
Je suis un adepte de la ligne claire, que je considère comme élégante. Une de mes premières références est André Juillard, j’étais fasciné par son trait. J’ai ensuite eu plusieurs modèles, mais Juillard fut vraiment le premier. J’aime que mes personnages expriment avec clarté leurs émotions, que le lecteur ressente ce qu’ils pensent et vivent. Je ne dis pas que la ligne claire la meilleure manière de transmettre graphiquement des émotions, mais c’est celle qui m’est naturelle. J’aime également utiliser des couleurs, je les veux narratives et avec du relief, de la texture. Mon but à travers elles n’est pas de rechercher le réalisme parfait, le reflet ou l’ombre qui va bien, mais qu’elles fassent pour le lecteur partie intégrante de la lecture et de l’ambiance.
Comment s’est déroulé la collaboration avec Kris et Galic sur Un maillot pour l’Algérie ?
D’un point de vue personnel, ce fut une expérience géniale de travailler avec eux. Ce fut, en fait, très facile. Et pour moi, c’est important que les choses se passent naturellement. Pour être honnête, c’est moi qui suis allé chercher Kris à la fin de ma collaboration avec Giroud pour Adelante. J’aime sa façon d’écrire, de raconter. Je lui ai écrit un mail pour lui dire que j’avais aimé Un homme est mort et que je voulais travailler avec lui sur une histoire vraie, presque selon le mode du documentaire. Il m’a proposé le projet qu’il bâtissait avec Bertrand Galic sur l’équipe de football d’Algérie et j’ai dit oui. J’ai travaillé à partir d’un scénario très détaillé, avec de nombreuses explications. Mais j’avais une marge de manoeuvre pour apporter des changements, en fonction des images qui me venaient. Kris et Bertrand Galic m’ont fait vraiment confiance sur ce projet. La collaboration fut tellement bonne que nous avons lancé un nouveau projet ensemble.
De quoi s’agit-il?
C’est une histoire vraie, dans la même veine qu’Un maillot pour l’Algérie, car le sport y joue un rôle – même s’il est moins central. Le thème principal est celui de la collaboration des Français pendant l’Occupation nazie. De manière générale, j’aime les thèmes historiques pour la tension dramatique qu’ils apportent avec eux. Les hommes et les femmes dans ces moments sont repoussés au-delà de leurs limites. Regardez les héros d’Un maillot pour l’Algérie : ils sont installés confortablement dans leur carrière en France quand le contexte international les pousse à prendre certaines décisions fortes et risquées.
Et l’Histoire de l’Espagne, elle ne vous intéresse pas ?
Un jour, je traiterai peut-être d’un sujet qui me tient à coeur pour l’Espagne : cette lutte continue entre les puissants, propriétaires des terres, et les travailleurs opprimés. Se greffera le thème de l’Église, qui se range toujours du côté des puissants, qui effraie le peuple, et qui concentre souvent la haine des opprimés qui d’ailleurs se vengent contre elle, à certains moments de l’Histoire. L’histoire de la lutte des classes est un thème structurant pour l’Espagne. Si j’aborde ce thème, je ne sais pas si je le ferai dans le contexte de la guerre civile car il a été traité de nombreuses fois, et cela me paraît difficile d’innover. Et puis, en étudiant ce sujet, je me suis rendu compte des liens de causalité qui nous font remonter loin, au moins à l’invasion du territoire par Napoléon Ier. Mais pour l’instant je me consacre à Intempérie, c’est une œuvre qui me tient beaucoup à coeur, une œuvre universelle.
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