Je suis Shingo #1
1982. Satoru ne tient plus en place : l’usine où travaille son père vient d’acquérir un robot… « Gu… Gundam… », fantasme-t-il dans son sommeil, en référence à la célèbre série animée de science-fiction. Pourtant, lorsque la classe de Satoru est invitée à visiter l’usine Kumata, la réalité écharpe les attentes du garçon. « Monroe » n’a rien d’un androïde flamboyant : c’est une machine fonctionnelle, faite de pinces et de grosses pièces monolithiques. Satoru, avachi, traîne sa déception vers la sortie du hangar. Face à lui, un autre groupe scolaire. Et Marine. Les deux écoliers échangent un regard long de sept planches.
Après plusieurs recueils parus au Lézard noir (La Maison aux insectes, Le Voeu maudit et La Femme serpent), Kazuo Umezu ressurgit en français, au sein d’une œuvre ambitieuse qui assurera une dose de frissons vintage pendant deux à trois ans, pour six pavés grand format. Pas les frissons de l’angoisse, cela dit, du moins pas encore – on sait à quel point l’auteur peut prendre le temps d’installer son univers avant de le pervertir. Dans ce premier tome, « Umezz » sort de l’horreur pour bâtir une romance juvénile sur fond de poétisation de l’informatique. En pleines années quatre-vingt, il s’intéresse au lien homme-machine, parallèlement à l’apparition du mouvement cyberpunk et d’œuvres iconiques telles que Videodrome et Christine. Pour Satoru et Marine, qui visitent l’usine en catimini après les cours, le robot à la conscience naissante devient une interface, comme la projection d’un amour qu’ils ne comprennent pas encore. Ils programment Monroe, jouent avec, l’éduquent comme s’il s’agissait de leur enfant. Ils se regardent l’un et autre à travers un écran primitif qui, par son quadrillage déformant, permet d’isoler leur union dans un monde en deux dimensions dont ils sont les pionniers et seuls habitants.
Au fil des chapitres, l’iconographie numérique s’immisce de plus en plus dans les dessins d’Umezu, à l’image de la nuée pixelisée qui entoure la demeure des Yamamoto (comme si réel et virtuel glissaient l’un vers l’autre), des motifs de circuits imprimés qui garnissent les cases ou, de manière plus évidente, des plongées vertigineuses dans les entrailles labyrinthiques de l’automate. Certains planches s’avèrent renversantes de détails, d’ingéniosité ou de puissance symbolique, sans doute ce qu’on a vu de plus abouti chez l’auteur – mention spéciale aux pages de garde. Si bien que, ébahis par la force du fond comme de la forme, on se demande jusqu’où nous emmènera ce Je suis Shingo qui porte les graines d’un chef-d’œuvre en devenir.
WATASHI WA SHINGO Volume 1 by Kazuo UMEZZ ©1996 Kazuo UMEZZ / SHOGAKUKAN / © Le Lézard noir pour l’édition française
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