Jean-Denis Pendanx : l’Afrique, la couleur et Apocalypse Now
Originaire des Landes, actuellement résidant à Bordeaux, Jean-Denis Pendanx est devenu un dessinateur incontournable au fil de quelques albums. Avec Le Maître des crocodiles, un thriller écologique et politique, il signe sa deuxième collaboration avec Stéphane Piatzszek. Grand voyageur, il rentre d’une mission avec l’Unicef avec laquelle il a retrouvé un continent cher à son cœur, l’Afrique. Rencontre avec le dessinateur dans les locaux de l’atelier 9-33, antre créative des auteurs de BD bordelais où sévissent, entre autres, Adrien Demont et Emmanuel Despujol.
Comment êtes-vous devenu dessinateur de bandes dessinées ?
Après mon bac, je suis monté à Paris pour faire une mise à niveau en Arts appliqués à l’école Estienne. Puis j’ai enchaîné avec un BTS en communication visuelle à Toulouse, pendant deux ans, où j’ai rencontré Nicolas Dumontheuil et Isabelle Merlet, qui est illustratrice et coloriste. Avec Nicolas, nous avons fréquenté les Arts Déco de Paris, pendant un an. Je n’ai pas fait d’école de bande dessinée, mais plutôt des arts graphiques et des arts appliqués. Je me suis formé sur le tard, en lisant des albums, en rencontrant des gens.
Le voyage est un thème au centre de votre œuvre.
Après un bref passage dans la pub, je suis parti en coopération au Bénin, au moment de faire mon service militaire. C’est important car cela m’a suffisamment marqué pour que plus de la moitié de mes albums se passent en Afrique. C’est parfois plus littéraire, comme Abdallahi avec Dabitch, ou sous forme de carnets de voyages. En ce moment, mon nouveau projet parle du Bénin. De manière plus globale, mes albums se passent loin de mon univers urbain, comme c’est le cas avec Tsunami et Le Maître des crocodiles, qui se déroulent en Indonésie. J’ai plaisir à dessiner un univers qui pour moi est exotique, dans le sens où cela sort de mon quotidien. Le moment fort de ma carrière, le tournant, est Abdallahi : le voyage de René Caillé jusqu’à Tombouctou avec Dabitch, le changement de dessin pour moi… De manière générale, j’aime avoir vécu quelques temps dans l’endroit que je vais dessiner, me sentir ainsi un peu légitime. Que ce soit en Indonésie, en Malaisie ou au Mali. Je fonctionne avec les lieux de la même manière. Je crée des fictions, sur une base réelle. C’est le cas pour mon nouveau projet, l’histoire d’un gamin au Bénin.
Votre travail est marqué par la couleur.
J’ai souvent envie de faire des choses différentes. Même si je travaille beaucoup avec la couleur, qui reste importante, centrale, j’ai parfois envie de faire un album en noir et blanc. En restant dans mon dessin, j’ai envie de tester de nouvelles choses. Quand je fais un album, je l’imagine en couleur, même pendant le crayonnage. Après, je m’essaie à différentes choses : avec Tsunami ou Le Maître des crocodiles, on est sur un travail à l’aquarelle ; pour Abdallahi, j’ai utilisé de l’acrylique avec un style où inspiré tantôt des impressionnistes, tantôt des orientalistes, pour coller au thème, à la période ; idem pour Jéronimus, où là, j’ai été cherché du côté des peintres flamands… Attention, mon approche reste modeste mais le but est de faire rentrer le lecteur dans l’univers pictural de l’époque. J’aime aussi faire des dessins dans des cases de différentes tailles. Avec Le Maître des crocodiles, j’ai travaillé parfois sur des pleines pages. Avec l’aquarelle, on garde le côté lumineux et l’aspect croquis d’un carnet de voyages, ce que j’aime beaucoup.
Le Maître des crocodiles est votre deuxième collaboration avec Stéphane Piatzszek, après Tsunami. Est-ce lui qui vient avec ses histoires ou les imaginez-vous ensemble ?
Nous connaissons tous les deux l’océan Indien – lui plus que moi, car il y a acheté un tout petit bout d’île, il y a quelques années, car ça ne coûte pas très cher. Il y avait installé des bungalows à louer – mais c’était très isolé ! Il y passait plusieurs mois dans l’année, il connaît les gens, les coutumes, les lieux… mieux que moi. L’histoire de Tsunami vient d’une anecdote. Il était avec un Indonésien, sur une embarcation, il a vu une île et a voulu se balader dessus. Mais l’indonésien lui a dit que l’ile était sacrée ou maudite car les corps avaient dérivé jusque-là après le tsunami. On n’y touche pas ! Il y a des fantômes. Pour Le Maître des crocodiles, c’est un fait divers : après la mort d’un pêcheur, tué par un crocodile, les habitants ont appelé un chaman, un maître des crocodiles… Il a créé cette histoire d’après cette anecdote. C’est donc lui qui a apporté le thème. Par contre, je voulais retravailler sur la région après Tsunami, donc je lui ai demandé une autre histoire pour poursuivre l’aventure graphique. La collaboration est très chouette avec Stéphane.
Comment s’organise-t-elle ?
J’ai pris l’habitude que le scénariste fasse un synopsis très précis, avec toutes les indications nécessaires. Puis je fais mon découpage. Cette habitude vient du fait que j’ai adapté le roman d’un ami, où que j’ai mis en forme le travail de Dabitch qui est journaliste avant tout – et puis Abdallahi était sa première BD donc je lui ai proposé de le faire. Stéphane, lui, pouvait faire soit un découpage, soit un synopsis très précis. J’ai préféré la seconde solution. De plus, comme Futuropolis n’a pas de collections précises, donc pas de formats à respecter, je suis très libre de mes choix. On est dans une relation de confiance. L’avantage pour moi est de choisir mon rythme. De ne pas faire des planches pour rien. Dans Le Maître des crocodiles, j’ai choisi de ralentir le rythme en faisant des planches d’une certaine importance. Ce n’est jamais gratuit. Le contemplatif est là aussi pour marquer une pause : il a une fonction narrative. J’ai pensé aussi l’album de manière très cinématographique, d’où cette grande alternance de plans. C’est le récit aussi qui veut ça.
C’est d’ailleurs un récit qui oscille entre différents styles.
Oui, un peu de série B, un peu de thriller, un propos politique, écolo… C’est presque un scénario de cinéma. Il y a plein de choses qui partent comme ça. On n’a pas voulu faire un ouvrage politique, ni forcément environnementaliste – le héros n’est pas forcément sympathique, il est plutôt même extrême dans ses choix. Ce qui fait peut être l’unité narrative, c’est le côté onirique, magique. On n’est pas forcément dans une BD du réel. J’assume le côté Apocalypse Now ! Et puis il y a les thèmes ciné de l’homme contre la nature : Orca, Moby Dick, Les Dents de la mer…
Parlez-nous de votre prochain projet.
Il s’intitule Au bout du fleuve, et sortira chez Futuropolis. Cela raconte l’histoire d’un gamin entre le Bénin et le Nigéria. J’exploite également le côté Apocalypse Now : la nature, le fleuve, l’aspect onirique… C’est une histoire qui prend pied dans une réalité, celle des exploitants et des trafiquants de pétrole mais qui, là encore, dépasse le simple propos politique pour aller du côté de la quête personnelle, celle d’un garçon à la recherche de son frère. J’évoque le delta du Niger, la pollution, là aussi on retrouve brièvement des indépendantistes. L’ambiance de fin est proche de l’univers de Conrad, d’Apocalypse Now … ce film m’a vraiment marqué ! J’exploite cette fois-ci la gouache, mais travaillée, pour donner un côté plus doux moins brut.
Êtes-vous un auteur « engagé » ?
Pour mon nouvel album, c’est la première fois que je fais tout. Je tiens l’histoire depuis des années, c’est un engagement fort de ma part. Après ce qui est important pour moi, c’est la relation entre les deux frères, comme pour Le Maître des crocodiles ,ce qui importait était la quête du héros pour retrouver le crocodile meurtrier. Le reste est avant tout un travail de contextualisation. Malgré tout, en relisant, je m’aperçois que je décris tout l’acheminement du pétrole, les modalités du trafic… Donc, bien sûr, qu’il y a une forme de dénonciation quelque part. Idem pour les problèmes de déforestation, qui seront aussi présents au sein de ce nouveau travail. En fait, ce n’est pas une volonté au départ, c’est presque présent de manière inconsciente. C’est aussi le résultat de mes voyages, de mes observations.
D’ailleurs, il y a quelques mois, vous avez vécu une expérience extraordinaire au Soudan…
C’était une demande de l’Unicef pour animer des ateliers de dessins avec les enfants. C’est un pays en guerre, les populations sont déplacées et regroupées dans des camps. Ils sont aidés par les ONG pour les soins, la nourriture, mais sinon, ils n’ont plus rien. L’Unicef voulait les sortir de leur quotidien. Il y avait presque un côté thérapeutique. L’idée était aussi de former des adultes au dessin pour qu’ils accompagnent les enfants. C’était vraiment extraordinaire, ils étaient très assidus, cela répondait à un besoin incroyable. Les adultes étaient en attente de ça : raconter leur histoire en se présentant. Le besoin de communiquer avec nous, d’évacuer aussi le traumatisme de la guerre, était là. Ils disaient très clairement : « ça peut nous aider, aider les petits aussi. » L’objectif était de fédérer les gens, d’unifier les différents quartiers du camp, qui est immense. J’essaie de rester en contact. Un film, une vidéo se fait autour de ça pour développer ce genre d’activités ailleurs. J’aimerais y revenir avec Stéphane, pour récupérer des témoignages, notamment lorsque des enfants retrouvent leurs parents après que la guerre les a séparé. Pas la peine d’écrire une fiction, les histoires sont déjà extraordinaires en tant que telles.
Propos recueillis par Marc Lamonzie
Retrouver l’expérience de Jean-Denis Pendanx sur son blog.
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