Jean-Marc Rochette, dessinateur au sommet
Retour sur un album dont on discutait il y a peu avec son scénariste, Fred Bernard: Himalaya Vaudou, fable écolo et tragi-comique, tout à fait épatante. L’histoire d’un trio de stars de la télé qui part interviewer en pleine montagne un homme connu sous le nom du Père Noël, mais qui se révèle être un justicier environnemental: pour sauver la planète, il transforme les grands de ce monde en animaux. Une solution radicale mais qui, à quelques semaines du sommet de Copenhague, entre en résonance avec des préoccupations très actuelles. Jean-Marc Rochette s’est fait un plaisir de mettre en scène et en images ce récit. Fervent défenseur de la nature et des animaux, cet artiste qui peint et dessine entre Berlin, Paris et le nord du Gard a pris le temps de nous rencontrer, pour livrer son point de vue sur la situation écologique , et sa vision de la bande dessinée.
Êtes-vous particulièrement investi dans la défense de l’environnement ?
Oui, c’est un sujet qui me préoccupe beaucoup, notamment la protection animale. Le jour où j’apprendrai que le dernier gorille est mort, ça ne me fera pas rire du tout. Et si le monde continue d’évoluer dans ce sens, nos enfants connaîtront ce triste jour. On ne s’en rend pas forcément compte en Europe, mais certaines zones du monde n’ont déjà plus de faune sauvage. Si vous allez au sud du Sahara, au Mali par exemple, on ne voit plus de lion, ni de girafe. Il n’y a plus rien ! En même temps, on peut se dire, au regard de l’histoire de la Terre, que la vie repart toujours. Une fois que l’homme aura engendré sa propre perte, il y aura bien toujours quelques scorpions cachés sous des cailloux…
Le Père Noël d’Himalaya Vaudou a une solution radicale pour sauver la planète: transformer les hommes en animaux.
Oui, il est fou et fait passer Ben Laden pour un amuseur public. Si j’avais les mêmes pouvoirs que lui, je ne sais pas si j’irai jusqu’à transformer tous les hommes en bêtes, mais je ferai sans doute subir ce sort à une bonne partie d’entre eux.
N’avez-vous pas plus d’espoir ?
Si, bien sûr. Je constate en ce moment une certaine prise de conscience du problème. Elle est née il y a déjà quelques années, au niveau local. Par exemple, quand j’étais jeune, les rivières de l’Isère étaient atrocement polluées. Aujourd’hui, on peut se baigner et pêcher dans la plupart d’entre elles. Mais, à l’échelle mondiale, tant que le nombre d’êtres humains et surtout leurs production et consommation de biens augmenteront, ça ne pourra pas marcher. Je prône une certaine forme de décroissance, en tout cas un système économique qui évite les nuisances inhérentes à la production à outrance.
Le fait de travailler une partie de votre temps en Allemagne vous a-t-il fait évoluer concernant les sujets écologiques ?
C’est sûr que les préoccupations environnementales sont très fortes là-bas. J’ai appris par exemple à ne pas jeter mon essence de térébenthine usagée dans l’évier, parce que je pourrissais près de 2000 litres d’eau avec un seul verre de substance toxique !
Qu’est-ce qui vous a séduit dans le scénario de Fred Bernard ?
D’abord, la simplicité du sujet: un méchant, trois « pieds nickelés », la montagne. Ensuite, ce mélange de peur et de rigolade dans l’intrigue. Mais c’est surtout la longue séquence dans l’Himalaya qui m’a enthousiasmé, car je suis passionné de montagne. Plus jeune, j’ai d’ailleurs hésité entre devenir guide et dessinateur… J’avais envie depuis longtemps de dessiner une aventure dans les sommets, mais pas un bête truc d’alpinisme. Et, avant Himalaya Vaudou, je n’avais jamais trouvé le scénario qui m’aurait permis de dessiner la haute montagne ainsi.
Fred Bernard nous disait que vous aviez conçu toute la mise en scène…
À partir du texte de Fred, qui ressemblait plus à une nouvelle qu’à un scénario de BD, j’ai imaginé un premier déroulé, qui a révélé les manques du texte. Il fallait rajouter des séquences, des dialogues… Ce que nous avons fait ensemble. Fred m’a ensuite laissé une grande liberté dans la mise en scène, notamment pour les séquences de montagne et la partie comique. René Pétillon, lui, est beaucoup plus directif: lorsque je travaille sur ses scénarios, tout est parfaitement au point, il n’y a aucun trou à combler. Il est vraiment génial mais, du coup, je dois me contenter de dessiner. Avec Himalaya Vaudou, je me suis vraiment senti metteur en scène de l’histoire.
Pourquoi ne pas écrire vous-même vos bandes dessinées ?
Souvent, je suis à l’origine des histoires de mes albums, je trouve une idée de départ. Mais je ne suis pas très bon dialoguiste et je n’ai pas toujours le sens de la longueur. Créer une BD tout seul serait donc trop douloureux, et une véritable source de frustration.
Comment avez-vous travaillé sur les personnages, sosies de stars de la télé ?
Nicolas Hulot était assez facile à dessiner, il a un visage bien taillé, simple. Stevie, je ne savais même pas qui c’était avant de lire le scénario. Alors, je ne l’ai pas fait spécialement ressemblant; juste assez pour que ceux qui voient de qui il s’agit le reconnaissent. Pour Patrick Poivre d’Arvor, c’était plus compliqué. Il est difficile à caricaturer, car il n’est ni vieux, ni jeune, ni beau, ni laid… Il n’est pas chauve, mais en fait il l’est…
Qu’est-ce que l’expérience Himalaya Vaudou vous a apporté en tant que dessinateur ?
Elle m’a ouvert des possibilités, notamment en termes de narration. Avant, j’utilisais la plupart du temps un « gaufrier » [suite de cases de même taille, comme une grille] plutôt classique . Là, j’ai pu m’essayer à quelque chose d’un peu différent, avec des cases panoramiques, des pleines pages… J’ai aussi l’habitude de travailler pour la presse magazine, avec un nombre de planches limitées. Ici, j’ai profité des 110 pages du livre pour utiliser un autre rythme.
Votre style graphique est aussi différent…
Oui, j’ai voulu le rendre actuel tout en le maintenant accessible à tous. Il y a des moments vraiment tragiques et violents dans Himalaya Vaudou mais, le reste du temps, je me suis efforcé de perpétuer un genre comique qui me tient à coeur. Car il y a aussi des passages vraiment drôles ! Pour moi, la bande dessinée est typiquement un art populaire, un peu comme le cinéma. Mais elle ne doit pas être le septième art du pauvre et tenter de singer son réalisme au risque d’être ridicule. Car, avec la BD comme avec les contes pour enfants, on peut créer un monde a priori peu crédible, puis réussir à embarquer les lecteurs et les convaincre d’y croire. C’est toute la magie du conteur, et c’est ce que j’essaie d’atteindre en dessinant mes albums.
Propos recueillis par Benjamin Roure
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Himalaya Vaudou
Par Jean-Marc Rochette.
Drugstore, 19 €, le 16 septembre 2009.
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Images © Rochette / Drugstore
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fort,fort, un « Rabier » de notre époque super puissance …à suivre !!
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fort,fort, un « Rabier » de notre époque super puissance …à suivre !!
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