Jérémie Moreau : « Montrer la puissance extraordinaire de la nature »
Il n’a pas décroché de Fauve à Angoulême, mais Alyte demeure un des tout meilleurs livres de l’année 2024, encore plus quand on restreint le spectre aux albums traitant d’écologie. Le petit bijou de Jérémie Moreau paru aux éditions 2024 (devenues depuis 2042) suit un crapaud alyte – dit crapaud accoucheur car il porte les oeufs sur son dos après l’accouplement – du stade de têtard à sa fière vie d’adulte, défiant la mort à tous les instants, mais aussi la folie destructrice des hommes, ici incarnée par une route scindant la forêt. Un livre haletant à hauteur de brin d’herbe, qui donne à voir le monde sous un jour inédit. Mais aussi un conte philosophique sur la puissance de la nature et l’importance pour les humains d’en prendre la mesure pour que, enfin, ils comprennent qu’ils font partie d’un tout qu’il vaudrait mieux préserver.
Est-ce qu’Alyte, et sa forme de fable animalière, peut être vu comme une sorte de pendant au Discours de la panthère, une autre façon de creuser le thème du vivant ?
J’avais adoré réaliser Le Discours de la panthère et je souhaitais, comme avec Les Pizzlys, poursuivre ma réflexion sur l’anthropocène et le rapport entre l’Homme et la nature. Avec Le Discours de la panthère, je m’étais aperçu qu’en retirant la présence de l’humain dans une histoire, tout devenait plus léger, plus ludique. Avec un récit d’humains, on garde toujours le même point de vue, bien au-dessus du sol. Avec des animaux, le point de vue sur le monde change en fonction de l’espèce choisie, et raconter une histoire à hauteur d’herbe par les yeux d’un crapaud m’a tenté. Dans le même temps, j’avais aussi envie d’une épopée longue.
Mais pourquoi un crapaud accoucheur ?
Ce qui m’intéressait avant tout, c’était d’imaginer comment pense un animal, ce qui se passe pour lui quand il est confronté à différents événements. Avec le crapaud, les différentes étapes de la vie sont bien marquées : il naît cellule, devient têtard, puis sort de l’eau quand ses pattes ont poussé, et avec cette espèce-là, il porte les oeufs sur son dos. Entre son enfance dans la rivière et l’âge adulte, tout change en termes de gravité, de luminosité… Je trouvais ça très beau d’imaginer un conte philosophique aux allures d’aventure picaresque, où le héros surmonte les problèmes les uns après les autres, rencontre des mentors successifs, et grandit.
Comment rester à hauteur d’animal quand on est un auteur humain ? Comment se projeter ?
J’ai toujours été très critique sur l’anthropomorphisme à la Disney… Tout est question de curseur : tant qu’on trouve des dénominateurs communs entre l’humain et l’animal, ça fonctionne. Quand je raconte le destin d’un bernard-l’hermite, je dois d’abord me mettre à sa place et comprendre quel est son objectif dans la vie. Dans le cas du crapaud, l’objectif est de survivre aux prédateurs et de porter ses oeufs jusqu’à une mare accueillante. Il ne faut pas oublier que les animaux sont mus par leur instinct, ils ne planifient pas des choix ou des projets… L’objectivation des animaux par l’homme a permis l’exploitation sans limite du vivant, je voulais aborder cette question également.
D’autant que très vite, dans Alyte, on perçoit bien que la nature forme un tout immense, connecté, et que l’impact des humains sur une de ses composantes peut toucher l’ensemble.
L’éthologie repousse sans cesse les limites de la connaissance qu’on a du vivant, et on ne peut que constater qu’on n’est pas tout seuls sur cette planète ! Mais comment fait-on monde avec tout ça ? Je me suis intéressé à l’animisme, j’ai pensé à des oeuvres comme Pompoko… Et j’ai aussi voulu parler du mycélium, ce réseau qui relie les arbres. Tous ces éléments ont participé de la création de l’histoire, en sachant que j’avais envie d’une mise en scène en immersion totale, pour souligner la subjectivité du récit. Fini les trois strips et les personnages en pied, je voulais des cases obliques, de l’action, pour noyer le lecteur dans les images et le pousser à tourner les pages !
On ne voit pas d’humain dans Alyte, mais ils sont bien présents, à travers la route et les voitures qui y défilent.
J’y ai réfléchi, bien sûr… Notamment pour des questions d’identification, car si on peut certainement se mettre à la place d’un crapaud qui protège sa progéniture, comme s’identifier à un arbre ? Mais j’ai voulu éviter le manichéisme classique des méchants humains contre la gentille nature fragile, cette image des bulldozers qui viennent de nulle part pour raser une forêt… En gardant le point de vue des animaux, on aperçoit donc les humains et leurs machines, mais ils les prennent pour d’autres êtres vivants, dangereux, qu’il faut éviter. Je me suis inspiré de ces petites plantes qui finissent toujours par exploser le béton de nos villes, j’ai imaginé que la forêt réussissait à fracturer la route qui coupe le paysage en deux. Dans les histoires, je déteste qu’on ne montre qu’une nature fragile à protéger : je voulais quelque chose de monumental, montrer la puissance extraordinaire de la nature.
Est-ce un parti pris optimiste?
Je ne dirais quand même pas ça…
Techniquement, comment évolue votre travail, ici tout numérique ?
J’avais trouvé un rendu qui me plaisait avec Le Discours de la panthère et je souhaitais poursuivre sur cette voie. Si je complexifie vers un rendu plus réaliste, alors cela donne Les Pizzlys. L’usage de l’ordinateur me permet d’aller beaucoup plus vite pour la partie production, et me permet ainsi de me concentrer sur la mise en scène. J’ai ainsi pu réaliser Alyte en 10 mois, alors que l’album compte 300 pages. Certains lecteurs s’interrogent sur l’opposition entre usage du numérique et pensée écologique, pour un rendu trop éloigné d’une nature réaliste… À un moment, j’ai été trop pris émotionnellement par la collapsologie, mais j’en suis revenu… La technologie repensée va participer de la révolution écologique, c’est ainsi, et je trouve cette vision intéressante. Alors utiliser l’outil numérique pour créer ne me pose pas de problème, et j’en ai un peu marre des BD sur l’écologie qui se cantonnent au vert et au marron… Rien n’empêche d’utiliser du rose fluo pour parler de ces sujets !
Vos prochains projets seront-ils dans la même veine ?
Je n’ai pas fini de parler des humains et de leur environnement, c’est certain ! Mais j’ai envie de toucher un lectorat plus jeune et plus large autour de ces thématiques. J’ai écrit une BD jeunesse de 50 pages, dans un format traditionnel, qui met en scène des enfants autour d’une mare qui va révéler leur pouvoir animal… C’est quelque chose de frais et drôle, qui pourrait devenir une série très grand public. Cela me permet d’élargir un peu le spectre de la collection Ronces, que je dirige chez Albin Michel, car la bande dessinée a un public potentiel plus grand que les albums illustrés. Et ce type de projet me laisse du temps et de l’espace pour développer de grosses BD adultes.
Propos recueillis, au Festival BD Colomiers, par Benjamin Roure
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Alyte.
Par Jérémie Moreau.
Éd. 2024 (2042), 300 p., 28 €.
Images © Jérémie Moreau / Éditions 2024
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Je suis perplexe. Il nous parle de la nature, mais toujours d’un point de vue très humain, même s’il semble penser le contraire. C’est un travail graphique certes impressionnant mais surtout très froid, peu organique et peu sensitif, ce qui est plutôt antinomique finalement. Les personnages grimacent, hurlent des dialogues assez mauvais ou décalés et je trouve souvent et qu’une grande prétention (pseudo-philosophie très empreintée) transpire de son travail. Mais ça n’est que mon avis.
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