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John Layman mordu de Tony Chu

18 mars 2013 |

layman_introÀ 43 ans, il est le scénariste d’un des comics les plus réjouissants du moment. L’Américain John Layman était de passage à Paris le mois dernier pour présenter le cinquième tome en VF de Tony Chu (Chew de l’autre côté de l’Atlantique). Dans un monde où la vente de poulet est interdite depuis une vilaine épidémie de grippe aviaire, cette série met en scène un policier doté d’un pouvoir bizarre: lorsqu’il mange un produit, il perçoit toute son histoire. Pratique pour savoir comment un cadavre est devenu un cadavre… Rencontre avec un auteur enthousiaste et gourmet, qui dévoile les recettes d’une bande dessinée délicieusement foutraque.

layman_couv5Vous avez posté une photo de vous sur Twitter attablé devant une assiette d’escargots. Conquis ?
J’en avais déjà mangé avant, en fait. C’est déjà mon troisième séjour à Paris. Et j’en avais même goûté aux États-Unis dans un restaurant français. Ça ne me dégoûte absolument pas, les escargots, surtout avec autant de beurre et d’ail. Et puis en matière de nourriture, rien ne m’effraie. Je pourrais goûter à tout, n’importe où.

Tony Chu est-il né justement au cours d’un bon repas ? Ou d’un mauvais, peut-être ?
L’idée m’est venue au moment de la grippe aviaire. Après le 11-septembre, les Américains ont perdu tout sens de la mesure. Le pays est devenu fou. Je me suis demandé ce qui se passerait dans ce contexte si l’épidémie de grippe aviaire se mettait à vraiment tuer des gens. Je ne l’ai absolument pas envisagé comme un livre sur la nourriture à l’époque. Quand j’ai commencé à démarcher des éditeurs, je le présentais comme une BD sur un flic cannibale sur fond de grippe aviaire dans un univers dystopique [qui anticipe sur les dérives de la société]. Longtemps, personne n’en a voulu et le développement a pris 5 ans. Les années passant, on s’est mis à oublier la grippe aviaire. Et puis la grippe porcine a fait la Une ! D’un coup, Chew redevenait d’actualité. Et là, aujourd’hui, il y a cette histoire de viande de cheval. Tous les six mois, un nouveau scandale alimentaire éclate. Avec le recul, j’aurai dû mettre l’accent sur l’aspect « bouffe » parce que c’est universel et que c’est ce qui a rendu la série populaire.

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Le succès s’explique-t-il aussi par un effet Ratatouille ?
Certainement. À un moment, j’ai essayé de vendre Tony Chu comme la rencontre de Dexter, la série télé, et Ratatouille. Sans les souris. Le film de Pixar a vraiment fait entrer la cuisine dans la culture mainstream.

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Comment avez-vous ensuite développé l’univers de Chew avec tous ces drôles de pouvoirs ?
J’avais plein d’idées marrantes liées à la nourriture. Comme cette critique gastronomique qui décrit si bien les plats que les gens peuvent en ressentir le goût. Toutefois, ces idées ressemblaient surtout à des blagues qui tourneraient très vite court… Mais en les combinant toutes dans une seule BD, cela ouvrait des possibilités sans fin.

Vous y développez aussi une vision très caustique de l’agro-business.
C’est un sujet dont je connais les enjeux depuis toujours. Mon père travaillait dans les pesticides. Alors bien sûr, ce n’est pas comme s’il avait inventé la bombe atomique. Reste que j’ai grandi en me posant des questions : ce type sympa qui fait vivre la famille, est-ce qu’il fait juste pousser des pieds de maïs ou est-ce qu’il est en train de tuer la planète ? La nourriture est un sujet si riche que je pourrai écrire 60 épisodes de Tony Chu sans avoir fait le tour de la question.

Qu’est-ce qui a fini par convaincre Image de publier la série ?
Je bosse dans les comics depuis 1995. Eric Stephenson, le patron d’Image, et moi sommes amis de longue date. Je l’ai appelé pour lui dire que je travaillais sur une histoire un peu tordue de détective cannibale, que j’avais un budget et que je cherchais un dessinateur. Il m’a dit : « Je n’ai personne à te conseiller. En revanche, j’aime ton idée. Trouve un dessinateur et je publierai ton livre. » Après avoir l’avoir proposé à tout le monde sans succès, Tony Chu a donc été acheté par le seul éditeur à qui je n’avais pas tenté de le vendre…

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Qu’est-ce qui vous a décidé à choisir le dessinateur Rob Guillory ?
J’étais sûr d’une chose : Tony Chu devait être drôle. Il me fallait un artiste capable d’alléger cette histoire quelque peu sordide. Quelqu’un qui saurait contrebalancer le caractère grand-guignolesque du pitch. layman_uniformeLa première page d’essai de Rob était très sombre. Exactement ce que je ne voulais pas. Or c’était des dessins très cartoon vus sur son site qui m’avaient séduit au départ. Il m’a répondu que c’était justement son vrai style, mais que jusque-là, personne n’en avait jamais voulu. Il a vraiment été heureux de pouvoir s’exprimer ainsi, et il a rendu Tony Chu accessible à des gens qui d’habitude ne lisent pas de comics.

Pourtant la série s’adresse à un public assez ouvert aux expérimentations. Vous vous permettez beaucoup d’audaces, comme lorsque vous avez opéré un bon en avant de l’épisode 18 à l’épisode 27…
Je peux me le permettre car je connais le déroulement de toute la saga. J’ai toujours voulu que la série se termine au bout de 60 épisodes. C’est la durée parfaite. Celle de tous mes comics préférés : Preacher, Y Le dernier homme, Transmetropolitan… Et je sais déjà ce que je mettrai dans cet épisode 60. Je l’ai su dès le départ.

Donc tout est planifié depuis le début ?
Oui. À l’épisode 25, nous avons même pu nous permettre un flashforward jusqu’à l’épisode 60, le temps d’une planche. Arriver à mi-parcours de notre aventure, avec l’épisode 30, a été une étape intimidante, mais très importante pour Rob et moi. L’épisode se conclut sur un cliffhanger vraiment surprenant qui donne le coup d’envoi de la deuxième moitié de la série. Maintenant, nous avons moins d’épisodes devant nous que derrière nous. Il nous faut répondre à toutes les questions que nous avons laissées en suspens. Même si j’ignore dans le détail tout ce qui va se passer d’ici la fin de la série, dans ma tête, j’ai déjà écrit le début et la fin de tous les grands arcs narratifs. Et il me reste quand même du champ pour inventer de nouvelles choses. C’est comme un puzzle pour moi. J’écris aussi pour Batman dans Detective Comics en ce moment, et c’est assez différent. Il faut davantage tenir la main du lecteur, être plus didactique.

layman_batmanPassez-vous facilement d’un titre à l’autre ?
Cela me demande un petit temps d’adaptation à chaque fois. J’ai la chance d’avoir été directeur de collection chez WildStorm. Je connais les attentes de celui qui essaye d’assurer la cohérence d’un univers. Batman, c’est cinq séries en simultanée chez DC. Si un événement se produit dans un des titres, il faut que cela soit pris en considération ailleurs. De plus, Batman n’est pas un personnage que j’ai créé. Je suis pleinement conscient qu’il appartient à une entreprise dont l’objectif est de vendre des sous-vêtements et des figurines. Avec Tony Chu, je peux faire ce que je veux, changer les règles à tout moment. Pour Batman, mon unique but est de raconter les meilleures histoires possibles en utilisant ce personnage que les gens apprécient.

Comment avez-vous fondu votre humour un peu tordu dans l’univers du Dark Knight ?
J’ai trouvé mon ton en me concentrant sur l’aspect polar. Le magazine s’appelle Detective Comics, donc pour moi, ce devait être le New York Police Judiciaire ou le Les Experts de la franchise. Pas de place ici pour la vie privée et les petites amies de Bruce Wayne : il y a quatre autres séries pour ça. Là c’est le boulot, rien que le boulot. Comme dans Tony Chu, chaque épisode doit pouvoir se lire indépendamment du reste. Il y a une affaire qui est résolue, avec un début, un milieu et une fin. J’aime que les gens en aient pour les deux dollars qu’ils déboursent chaque mois.

layman_olivOù en est-on de l’adaptation en série télé de Tony Chu ? Vous avez annoncé une triste nouvelle récemment…
La chaîne Showtime a décidé de ne pas produire l’adaptation de Tony Chu. Cela a été une déception, mais aussi, quelque part, un soulagement. J’ai travaillé dans les jeux vidéo et j’y ai appris combien dans ces industries-là, les gens passent leur temps à massacrer ce que tu écris. Tout le monde à Hollywood adore Tony Chu, mais le moment venu de rédiger les scripts de la série, il faut changer ça, puis ça, et puis ça aussi. Dans les comics, au moins, ce que le lecteur tient entre les mains est la pure retranscription de tes idées.

C’en est donc fini de tout projet Tony Chu à la télé ?
Nous avons gardé les scripts. Le réalisateur Stephen Hopkins est toujours partant. Et d’autres chaînes réfléchissent. Mais après une paire d’années à plancher sur ce projet, on se dit finalement que le problème est que personne n’a vraiment envie de voir Tony manger des cadavres à l’écran. Dans la BD, ça ne fonctionne que grâce au dessin de Rob. Du coup, nous en sommes à nous demander si la solution ne serait pas plutôt de développer une série d’animation, en gardant le design de Rob. Là, on pourrait conserver l’agent secret Poyo, les extraterrestres, les vampires et toutes ces choses qui ne marcheraient pas dans une série live.

Une série à la Archer finalement ?
Exactement ! Cela ne coûte même plus très cher, l’animation. Je crois qu’Archer est développé en Flash.

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layman_omnivoreN’est-ce pas étonnant que les chaînes aient encore des doutes au moment d’adapter un comics sanglant, quand on voit le succès retentissant de The Walking Dead ?
Mais The Walking Dead est très facile à adapter, car basé sur un concept ultra-simple : un film de zombies + un soap opera. Tony Chu, à l’inverse, navigue entre tellement de choses : horreur, polar, sitcom familiale… Ce n’est pas évident.

En tout cas, les deux séries ont largement contribué à installer Image Comics dans le paysage.
En effet, personne aujourd’hui n’assimile plus Image aux comics flashy et superficiels qui faisaient sa renommée au départ. Maintenant, la maison attire les grands noms : Brian K. Vaughan, Grant Morrison, Ed Brubaker, Mark Millar… The Walking Dead, bien sûr, y est pour beaucoup, mais reste un phénomène hors normes. Je pense que Chew en revanche a accrédité l’idée que tout le monde pouvait y avoir sa chance. Et a prouvé aux créateurs qu’ils pouvaient gagner de l’argent avec les projets dont ils avaient envie. On ne vient pas à Image pour faire fortune. Mais il y a une vraie satisfaction à être propriétaire de son propre univers.

Propos recueillis et traduits par Guillaume Regourd

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Tony Chu #5.
Par Rob Guillory et John Layman.
Delcourt, 14,95 €, le 6 février 2013.

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Images © Image Comics / Delcourt. – Photo © Stéphanie Debord

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