Joker The Winning Card
Comment faire du Joker une figure encore inquiétante ? C’est toute la question que se pose chaque auteur héritant du personnage dans le pack Batman. Un vilain devenu à ce stade plus encombrant que réellement excitant à écrire. Le véritable boulet de Gotham. Pour revenir à la sidération que le personnage porte en lui à l’origine, Tom King (Mister Miracle, Human Target) fait le choix assez prudent de revenir à son premier affrontement avec la Chauve souris. Ce sera donc Batman Année 1, décidément une année riche dans la carrière du vigilante. Alors que Bruce Wayne s’essaye encore timidement à revêtir la Cape, un psychopathe en tenue d’Auguste commence à semer la zizanie dans la ville.
Ses crimes échappent à toute logique apparente et c’est ce qui est le plus flippant chez lui. Mais pour accentuer la chose, King et son fidèle collaborateur au dessin Mitch Gerads (Mister Miracle, Sheriff of Babylon) ont une excellente idée de BD : ne le faire s’exprimer qu’en cartons de film muets. C’est simple, mais d’une efficacité redoutable. Dans certaines séquences, le procédé typographique est juste génial à l’image de cette longue course-poursuite avec Batman où les cases noires dans lesquelles retentissent les blagues du Clown finissent par devenir de plus en plus sinistres à mesure qu’elles cannibalisent la page et font basculer Bruce Wayne à la lisière de la folie.
L’album se veut cauchemar éveillé et n’hésite pas à brouiller les frontières entre ce qui se passe réellement et ce que le Joker a réussi à instiller dans le cerveau de ses antagonistes. Gerads explore une veine différente de celle qu’on lui connaît, plus volontairement brouillonne et nerveuse qu’à son habitude. Sa mise en couleurs est, elle aussi, beaucoup plus sombre qu’à l’accoutumée et donne un ton très convaincant à l’ensemble. King saute lui carrément le pas du surnaturel et confie des capacités extrêmes à son vilain pour en faire un croquemitaine de slasher movie, capable par exemple de se contorsionner pour se cacher dans la cuvette des toilettes et en bondir comme un diable monté sur ressort dans une séquence, euh, très bizarre.
Il y a un côté anthologie horrifique pas déplaisant dans ce Winning Card, chaque cadavre semé par le Joker donnant lieu à une nouvelle mauvaise plaisanterie. Mais pas sûr qu’au delà de ça, l’album, qui s’attarde encore lourdement sur la sacro-sainte relation co-dépendante de Batman et de son meilleur ennemi, apporte grand-chose à la grande toile de fond gothamienne. Dans le genre relecture en mode épouvante de la figure du Joker, on préfère ce qu’en avaient fait de manière plus originale et foncièrement flippante Jeff Lemire et Andrea Sorrentino dans Killer Smile.
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