Journal
Il y a trois ans, la sortie de Moi aussi je voulais l’emporter a été largement couverte. La critique a salué une autrice au ton personnel, mêlant intime et réflexion féministe globale, accompagnant son propos d’un dessin coloré à la grande force évocatrice. Si l’autobiographie porte toujours son lot de questionnement sur l’intérêt des propos, on en saluait la « sensibilité » ou la « sincérité ». Au-delà de mots-clés, on y découvrait surtout une réflexion assumant de se construire au fil du livre, rejetant un projet initial et recomposant ensemble projet artistique et façon de voir le monde. Une démarche en réalité au cœur du travail de la Franco-québécoise Julie Delporte.
Ce Journal a connu plusieurs vies, notamment une première édition en 2014 chez L’Agrume. Compte-rendu quasi quotidien d’une relation amoureuse qui se délite, puis d’une plus franche rupture, il a débuté sur un blog. À l’époque l’autrice a certes publié quelques fanzines, mais elle est surtout connue pour sa parole sur la bande dessinée : libraire, critique, animatrice d’une émission radio, elle soutient également une maîtrise sur la « bédé-réalité »… Pour beaucoup, la voir dessiner est une surprise. Pour Julie Delporte c’est un apprentissage au quotidien, en saisissant un nouvel ustensile qui ne la quittera plus : le crayon de couleur. Les formes appuyées, les tâches et le côté enfantin du matériel rompent fortement avec une réalité directe.
C’est en direct l’affirmation d’une artiste, avec qui l’on découvre des outils, les questionnements, une légère assurance. Le Journal éclaire avec force les titres qui ont suivi et est notamment une évidente fondation d’un discours féministe qui s’articule au fil du temps.
Au fil des jours, elle apprivoise ses crayons, mais aussi son nouveau statut. Quand elle ne se définissait souvent que par rapport à son partenaire, auteur et éditeur mis sur un piédestal, elle s’en libère en même temps que son trait. Petit à petit, les dates se distendent, la vie revient et si la narratrice doute parfois même de l’intérêt profond de ces séquences accumulées, elle s’astreint à une discipline qui n’est jamais artificielle à la lecture, quand bien même la création a pu le paraître. L’écriture directe, le dessin parfois maladroit et si beau, est comme une manière de chasser la rigueur de l’analyse critique qui la portait jusqu’alors.
Ce désapprentissage n’est pas que formel, on ressent aussi le détachement face à des choses qui lui semblaient alors si essentielles, face à un rôle aussi. Et vient la rupture physique, la distance avec une résidence à White River Junction (Vermont), qui l’isole un temps, au risque de renforcer un syndrome de l’impostrice, avant de la faire s’accepter comme réelle dessinatrice. Le lecteur en était convaincu depuis longtemps.
Publiez un commentaire