Journal inquiet d’Istanbul #1
Après les Contes ordinaires d’une société résignée et Jusqu’ici tout allait bien…, dans lesquels il regroupait des fables d’anticipation sociales et satiriques, Ersin Karabulut dévoile son histoire et celle de son pays. Dans cette autobiographie, l’auteur laisse tomber ses visions à la Black Mirror et s’ancre dans le réel. Né le 3 juin 1981, ce sont 4 décennies qu’il commence à raconter, non pas à la manière d’un historien, mais via son regard de jeune Turc. On y retrouve évidemment son ton si particulier, décalé et ironique, puis on lui décèle et apprécie sa grande autodérision.
Son père enseignant qui devait exercer un second métier pour faire vivre sa famille, les groupuscules politiques qui lui mettent la pression, sa nounou aux blagues douteuses ou son goût indéboulonnable pour la bande dessinée, on découvre dans les pages de ce premier tome l’enfance et les débuts professionnels de l’auteur. Caricaturiste travaillant dès l’adolescence pour des journaux satiriques turcs, le dessin, l’humour et la BD sont son quotidien, même si la peur et les recommandations parentales l’ont parfois fait douter sur sa vocation. En parallèle, c’est l’histoire et la politique mouvementées de la Turquie qui nous sont données à voir : la montée en puissance de l’islamisme radical, des conservateurs et d’Erdoğan. Son quotidien d’enfant, puis de dessinateur de presse dans un pays où la liberté d’expression et de la presse est limitée est à la fois drôle et pertinent.
Avec son graphisme qui doit beaucoup aux journaux satiriques, Ersin Karabulut ne singe pas pour autant ses prédécesseurs. Il ouvre même une voie intéressante entre la caricature et le réalisme, son trait réaliste-grotesque prenant place entre ceux de Gotlib et d’Asaf Hanuka (K.O. à Tel Aviv, Le Divin…). Dense, très bien rythmé, cocasse et décalé, Journal inquiet d’Istanbul est en bonne place pour être la nouvelle BD historico-autobiographique phare à propos du Moyen-Orient après Persepolis et L’Arabe du futur !
Traduction : Didier Pasamonik
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