Les États-Unis de 1937 souffrent encore de la Grande Dépression, notamment les agriculteurs du Dust Bowl, zone entre l’Oklahoma, le Texas et le Kansas, noyée sous des tempêtes de poussière. Consciente du problème mais démunie, l’administration américaine lance un programme de communication : elle envoie un photo-reporter pour rendre compte efficacement de la vie des habitants de la région. Le jeune John s’attelle à la tâche, mais va d’abord devoir vivre la réalité du sable et de la poussière afin de faire comprendre sa démarche à une population désespérée et sceptique.

Forte d’une documentation abondante et d’un voyage sur place, Aimée de Jongh s’est appuyée sur les travaux photographiques commandés à l’époque par la Farm Security Administration, dont certains sont entrés dans l’Histoire – de l’art photographique autant que de la grande Histoire. Comme cette mère migrante, trentenaire qui paraît 20 ans de plus, photographiée par Dorothea Lange, et devenue symbole d’une Amérique rurale délaissée et exsangue. Pour brosser cette période et évoquer cette commande photographique d’un genre nouveau, l’autrice néerlandaise a choisi les voies de la fiction. Tout en restant réaliste et crédible, elle compose le portrait d’un jeune reporter au passé difficile, que la rencontre avec les fermiers en détresse va bousculer et faire grandir. En effet, la dessinatrice de L’Obsolescence programmée de nos sentiments, au-delà de la reconstitution historique, interroge le sens d’une image extraite du contexte et souvent mise en scène pour en accentuer la dramaturgie. Truquer la réalité pour une bonne cause, est-ce mentir, est-ce mal ? Un bon sujet de philosophie encore valable aujourd’hui. Ce qui donne tout son sens et sa profondeur à cet album à la ligne chaleureuse, classique et efficace – avec de belles trouvailles graphiques pour les tempêtes –, et au découpage peu dense qui offre une lecture très fluide. Et une histoire émouvante.