Après avoir gentiment moqué José Bové (Il faut tuer José Bové) ou la famille Ben Laden (La Croisade s’amuse), Jul s’attaque à l’homme préhistorique, ici curieusement doté de grandes aptitudes technologiques. Dans le premier tome de Silex and the City, il raconte le quotidien de la famille Dotcom et de son entourage. Ce petit monde vit dans une société ressemblant furieusement à la nôtre, où l’on s’abonne au Monde Diplodocus et où l’on suit un régime végétarien. Du fin fond de sa grotte parisienne, l’auteur revient sur ces hommes des cavernes.

Qui est votre héros, Blog Dotcom ?
Il présente des traits de caractère très français: pusillanime et un peu lâche, ce prof qui entre en politique est prêt à draguer tous les bords possibles, des participants à la fête de l’Huma aux partisans d’extrême-droite. Il brandit de grands principes, lesquels sont à géométrie variable. Avec sa famille, Blog vit dans une vallée réactionnaire, qui rejette le darwinisme et la théorie de l’évolution. J’ai imaginé que lui et sa famille cherchaient à refourguer la modernité à leurs contemporains. Cela me permettait d’opposer un univers geek au néolithique, et de créer un choc culturel potentiellement comique. Je suis un grand admirateur des Simpsons et, sans pour autant copier le travail de Matt Groening, je voulais raconter les aventures d’un Homer en peau de bête.

Pourquoi avoir installé votre histoire en 40 000 avant Jésus-Christ ?
J’avais envie d’évoquer le monde d’aujourd’hui sans être prisonnier de l’actualité. Depuis mes débuts dans la bande dessinée, je suis influencé par mon métier de dessinateur de presse [Jul est un collaborateur de Charlie Hebdo]. Or je n’en pouvais plus de dessiner Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal à tout bout de champ! Prendre une telle distance avec notre époque me permet de la critiquer, en montrant que rien ne change. De plus, un tel décalage est souvent générateur d’humour.

Vous dites ne plus avoir envie de représenter des personnalités connues dans vos albums. On y reconnaît pourtant José Bové au détour d’une case, et le jeune et riche Rahan de la Pétaudière ressemble beaucoup à Jean Sarkozy…
José Bové n’est qu’un clin d’oeil, que beaucoup ne remarqueront probablement pas. Quant au fils de la Pétaudière, il m’a été au départ inspiré par le véritable Rahan. Je voulais transformer un héros viril en fils à papa de Saint-Germain-des-Pierres. En le mettant en couleurs, je me suis aperçu de sa ressemblance avec Jean Sarkozy. La faute à mon inconscient…

Êtes-vous un adepte des nouvelles technologies?
Non, je suis plutôt un « natural born low tech ». J’ai récemment découvert ce qu’était un scanner, et comment cela pouvait faciliter l’envoi de mes dessins. Répondre à un email correspond au maximum de mes capacités dans ce domaine.

Avez-vous des comptes à régler avec le métier de prof ?
J’éprouve à la fois beaucoup d’admiration et un peu d’agacement envers les profs. J’ai exercé ce métier pendant deux ans à peine, et je me souviens encore de l’angoisse que j’éprouvais en salle commune. La caricature que j’en fais constitue la part oedipienne de cette BD : mes parents ont aussi enseigné. Je leur ai d’ailleurs « emprunté » leur couvre-lit en peau d’ours, pour l’installer sur le lit de Dot et sa femme.

Après plusieurs one-shots, pourquoi vous lancer dans une série ?
Enfant, j’étais un grand lecteur d’aventures au long cours, comme celles de Spirou par exemple. J ‘ai eu envie d’inventer des personnages récurrents, et d’utiliser plus longuement cet univers préhistorique terriblement riche. Il y a trois ans, j’ai commencé à chercher des gags d’époque, tout en les gardant réalistes : je n’y insérais pas de dinosaures, les outils et l’environnement étaient « historiquement » justes. J’ai passé deux ans à créer ce petit monde, en lisant par exemple des pages entières sur la taille du silex, formation d’historien oblige! J’ai découvert des trucs invraisemblables, comme le fait que le gêne de la rousseur existait chez Néanderthal.

Quels sont vos projets ?
Réaliser la suite de Silex and the City. Qui tournera autour d’histoires de religions – mes héros commencent à enterrer leurs morts et à adorer des dieux totémiques -, et des sentiments éprouvés par la jeune Web, la fille de Blog Dotcom. Il y aura donc plus d’amour et de romance que dans le premier épisode. Sinon, je travaille aussi sur un recueil d’histoires courtes multi-thématiques pour Dargaud. Étant père de famille presque nombreuse [Jul a eu deux filles], j’ai pris un congé parental de Charlie Hebdo. Je n’en suis donc en ce moment qu’un simple lecteur, mais je vois que Charb fait du bon boulot. Je reprendrai mon activité de dessinateur de presse à l’automne.

Propos recueillis par Laurence Le Saux

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Silex and the City
Par Jul.
Dargaud, 13,50 €, le 28 août 2009.

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Images © Dargaud

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