Kent State
Kent State, Ohio, mai 1970. Des étudiants manifestent contre la guerre du Vietnam et contre la présence de la Garde nationale sur le campus. Qui, à l’issue de plusieurs jours de tension, finit par tirer à balles réelles sur une foule désarmée et pacifiste. Quatre étudiants meurent, neuf autres sont grièvement blessés. Derf Backderf a enquêté sur ce jour funeste qui a durablement marqué l’Histoire des États-Unis et poussé un peu plus l’opinion publique à réclamer un désengagement américain du Vietnam.
L’auteur de Mon ami Dahmer a épluché les articles, compulsé les archives, déniché les rares enregistrements de l’époque. Et, surtout, donné la parole à des témoins de ce drame. Avec un objectif : comprendre comment des soldats américains ont pu ouvrir le feu sur des jeunes compatriotes qui ne présentaient pas un danger mortel imminent ? Ce travail digne d’un journaliste d’investigation est riche et solide, et l’auteur prend le temps de suivre ses personnages presque heure par heure sur les quatre jours qui précèdent la fusillade. Il démontre ainsi parfaitement que la plupart des étudiants de Kent State, s’ils étaient contre la guerre du Vietnam, ne faisaient pas partie de groupuscules politiques prônant des actions violentes. Et que les policiers et soldats de la Garde mobilisés sur place étaient épuisés, mal formés et surtout manipulés par les fake news de l’époque, faisant croire que les étudiants étaient armés et que des snipers pouvaient se trouver sur le toit de la fac…
On apprend donc énormément de choses dans cette grosse BD de plus de 280 pages et on en reste assez scotché. Mais un problème de construction se fait jour dès le premier quart : Derf Backderf multiplie les infos, les éléments biographiques, les anecdotes techniques ou sociologiques, parfois dans des pages inondées de textes, et perd un peu de vue la force narrative de la bande dessinée. Avec son trait épais et caricatural, expressif mais manquant de légèreté, Il enchaîne les scènes de reconstitution, mais les moments d’intimité paraissent bien factices à côté, et n’aident pas à incarner les nombreux personnages de son récit. Le déroulé patine, l’attention du lecteur se perd sous les détails et les figures trop semblables. Et la distance journalistique s’estompe peu à peu, jusqu’à un final mélodramatique.
Une fois refermée, Kent State laisse un goût mitigé. Entre un fond d’une profondeur et d’une précision rares, et une forme lourde et maladroite, que restera-t-il ? Un documentaire édifiant et bouleversant pour ceux qui seront allés au bout, une BD historique bancale et pesante pour les autres.
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