Kong-Kong sonne la rentrée BD jeunesse !
C’est un de nos coups de coeur jeunesse de cette rentrée BD : Kong Kong, un singe sur le toit, met en scène la drôle de rencontre entre le jeune Abélard, débarqué dans une tour HLM peu avenante et sa pétillante voisine, Héloïse. Et avec un troisième larron, un gorille vivant sur le toit ! Une jolie réussite pour une première incursion dans la bande dessinée, pour le dessinateur Yann Autret et le scénariste Vincent Villeminot. Qui ont accepté de répondre aux questions de BoDoï sur cette chouette aventure.
Quel est votre parcours, avant d’arriver à cette première collaboration en bande dessinée?
Yann Autret : Après avoir fait du graphisme et un peu de dessin de presse, j’ai publié quatre premiers « romans graphiques » (pas spécialement pour la jeunesse) dans une petite structure indépendante, il y a quelques années déjà. Puis mes premiers livres « jeunesse » en illustrant des textes de Gudule (qui avait remarqué ces quatre premiers petits livres). Bien vite, j’ai renoué avec l’écriture de mes propres livres et depuis, je me partage encre écriture de romans et d’albums jeunesse et travaux de dessins.
Vincent Villeminot : Quant à moi, j’ai commencé par dix ans de journalisme, comme reporter, puis je me suis mis à écrire des fictions, d’abord pour les enfants, puis des romans de plus en plus épais pour les ados, les jeunes adultes (comme on dit) et les adultes tout court, dans des genres très différents.
Y.A. : Bizarrement, l’idée de faire une bande dessinée est venue de Vincent. Je dis « bizarrement » car on pourrait penser que c’est une envie de dessinateur. Nous avions déjà publié ensemble deux espèces de romans graphiques ado-adultes – des romans écrits par Vincent enchâssés dans une scénographie et des scènes de purs dessins – intitulés Ma famille normale, chez Nathan. Puis, Vincent a manifesté cette envie de bande dessinée. Nous avons donc commencé à travailler dans cette direction.
V.V. : Parce que mes désirs sont des ordres… Non, plus sérieusement, disons que j’avais envie d’expérimenter cette narration si différente du roman, presque aux antipodes. Et avec Yann, on avait déjà pas mal réfléchi aux moments où il faut écrire et aux moments où c’est mieux de dessiner, pour Ma famille normale… Donc autant continuer la réflexion, aller au fond des choses, avec le même comparse.
Comment se sont noués les contacts avec les éditions Casterman ?
Y.A. : Vincent publiait déjà des romans chez Casterman. Il y travaillait en confiance. Bande dessinée… Casterman… L’évidence s’est imposée.
V.V. : C’est vrai que le simple fait de venir régulièrement chez Casterman, pour publier cette série de polars, aurait suffi à susciter une « envie de bande dessinée ». Tu es entouré d’auteurs que tu lis, et aussi de façons de raconter une histoire qui t’inspirent, te mettent au défi…
Comment le travail de création s’est organisé ?
Y.A. : Nous avons écrit des scénarios chacun de notre côté, puis nous avons versé ces histoires dans un pot commun. Nous avons ensuite organisé ensemble cette matière et bâti la structure de l’album : une série de micro-histoires qui finissent par composer un récit long. Il ne s’agit donc pas d’un recueil de gags indépendants les uns des autres. Puis, sur cette base établie en commun, j’ai esquissé un story-board complet. Nous en avons fait une première relecture et mise au point avec Vincent. Puis nous l’avons présenté à Céline Charvet et Marine Tasso, nos éditrices, avec qui nous en avons rediscuté.
V.V. : Oui, on a beaucoup de mal à démêler après coup ce qui vient de l’un et de l’autre – disons que Yann dessine et pas moi, ça, c’est avéré. Mais pour ce qui est des histoires, elles sont le fruit de plusieurs allers-retours, l’un ajoute, l’autre gomme, l’un enlumine, l’autre épure, l’un raccourcit ou rallonge la sauce… Moi, je cherche en BD le laconisme que je ne peux pas avoir en roman, par exemple, les scènes de face à face silencieux, mais parfaitement explicites, les gestes qui en disent long. Yann a tendance à rajouter des bulles. Mais bon, on règle ça – dans la violence extrême – et ce truc d’équilibriste donne le ton.
Y a-t-il un peu de vécu personnel dans cette histoire ? Et d’où vient cette idée de singe et ami imaginaire perché sur le toit ?
Y.A. : Oui, bien sûr, comme toujours, il y a du vécu. Nous avons été enfants et, personnellement, je mange beaucoup de bananes. Quant à Vincent, il est laconique comme un grand animal mythologique et caresse de longue date (il ne m’en a pas fait la confidence, néanmoins je sens ces choses-là) le rêve éperdu et masochiste de vivre seul comme un chien, enfermé dans une tour dont il serait tout à la fois le maître absolu et le prisonnier résigné. Mais je parle à sa place et je ne devrais pas. D’où vient certainement qu’il m’a proposé cette idée de base de deux enfants en huis clos dans une tour. La petite fille avait un ami, une sorte de doudou monstrueux : un dinosaure installé au sommet de cette tour. En y travaillant, cette grosse bête sur un toit m’a fait penser à King-Kong. Nous nous sommes donc entendus pour remplacer le dinosaure par un gros singe qui s’appellerait Kong-Kong. Mais, hors des allusions parodiques inévitables, nous nous sommes tenus au projet initial : ni pure parodie de King-Kong ni histoire de monstre, mais bien une chronique d’enfance. Et attention : le singe n’est pas imaginaire. Il est bel et bien là, très réel !
V.V. : Voilà.
Vincent, vous écrivez à la fois pour la jeunesse, les ados et les adultes. Comment abordez-vous chaque public et chaque projet ?
V.V. : Chez moi, la question de l’âge du lecteur détermine souvent l’âge du personnage… L’âge de mon héros, de mon héroïne, c’est ça le plus déterminant: la hauteur à laquelle les personnages regardent le monde qui les entoure. Les considérations de ces héros, si elles sont et sonnent juste, permettront d’impliquer les lecteurs les plus jeunes – mais l’idée est aussi que les lecteurs plus âgés devraient s’y retrouver, parce que je ne concède rien sur le niveau de langue, l’humour ou la gravité, etc. Je crois qu’un livre qui ne serait « destiné » qu’aux enfants, ou exclusivement aux adolescents, et qui serait écrit par un adulte, courrait le risque d’être niais, ou démago, ou complaisant, ou simplificateur, ou édifiant. L’idée de chaque projet est au contraire de rassembler une petite tribu de lecteurs autour du bouquin, de créer entre eux un plaisir partagé et partageable…
Dans Kong-Kong, les jeux de composition dans les planches participent à créer une ambiance particulière. Comment l’univers graphique s’est mis en place ?
Y.A. : Avant même d’écrire, nous étions d’accord pour rechercher une forme très libre. C’est dans cet esprit que je propose ces découpages et compositions à Vincent. Nous en discutons, les remodelons parfois, et surtout affinons et revoyons sans cesse ensemble l’ordre des histoires, la pagination, la structure d’ensemble du livre. Par la suite, je montre à Vincent les dessins à chaque étape de leur réalisation, afin qu’il puisse me donner son avis. De l’écriture à la réalisation, il s’agit vraiment d’un travail à quatre mains.
V.V. : Yann est beaucoup plus savant que moi concernant la composition, la couleur, la typo, plein de trucs. Et moi, je suis peut-être un peu plus garant dans l’album de la cohérence narrative, de l’évolution des personnages du début à la fin. Mais à chaque étape, on travaille tout ensemble, le rythme, le cadrage, etc, et l’avis de chacun compte, même si ce n’est qu’un sentiment, une impression parfois mal étayée…
Qu’est ce qui vous a semblé le plus difficile dans ce projet ?
Y.A. : Ce livre-là s’est trouvé faire une sorte de synthèse de mes différentes expériences graphiques et narratives passées, un retour à mes premiers livres et aussi, après bien des détours, à la bande dessinée. Tout ce bagage a été convoqué. Le plus difficile, mais aussi le plus enivrant, a peut-être été de m’immerger dans une réalisation de si longue haleine. Et à l’inverse, le plus facile, le plus joyeux, ce fut la phase d’écriture, même si nous avons tâtonné au début. Et même, ce moment, avant d’écrire, où l’on y pense un peu rêveusement. Je ne pourrais pas me passer de dessiner, mais le vrai bonheur, c’est d’imaginer et d’écrire les histoires.
V.V. : Le plus difficile, pour moi, c’est, une fois le plus gros de mon job est terminé, qu’il il faut rester dans la cohérence, alors que je ne travaille plus sur l’album que de façon parcellaire. Concrètement, une fois le story-board réalisé, Yann passe des mois à dessiner l’album, et je ne sais jamais quand je vais recevoir une salve de planches… Quand ça se produit , et pour relire intelligemment, il faut que je m’efforce de retrouver Abélard et Heloïse, leur ton, leur relation, et aussi l’équilibre d’ensemble du livre, alors que je suis dans l’écriture d’un roman qui n’a rien à voir… Pas simple.
Qu’est ce que le passage par la bande dessinée a changé dans votre approche et votre travail ?
Y.A. : Comme je le disais précédemment, ça m’a semblé davantage un aboutissement qu’une révolution ou un changement : le retour aux lectures fondatrices, au pays natal (d’ailleurs, j’y mets un peu d’emphase, comme vous voyez). J’ai voulu m’essayer, au fil des années, à des formes très diverses : écriture de romans, récits, contes, dessins d’humour, albums, etc. Mais le goût de toutes ces formes trouve sa source, au premier âge, dans la bande dessinée, qui peut y conduire, malgré ce que pensent encore certains. La Chine de Tintin peut vous conduire jusqu’à la Chine de Claude Roy (plus personne ne sait qui était Claude Roy, mais tant pis). Ma réponse est trop longue et trop pédante, je sais bien. Et Vincent va encore vouloir tailler dans mon texte ! Mais le laconisme n’aura pas le dernier mot !
V.V. : Yann dit ça parce que moi, ce qui m’intéresse dans la BD, ce sont les silences. Les gestes. Le comique de situation, presque le mime. D’une part, ça me donne moins de travail pour les dialogues, d’autre part, c’est ce que je n’avais jamais fait : me taire, ne pas décrire, suggérer davantage encore. Donc, j’essaye d’imposer cette retenue.
Êtes-vous des lecteurs de BD et si oui, quels sont vos derniers coups de cœur ?
Y.A. : Je suis un lecteur de BD un peu irrégulier, et plutôt que des coups de cœur, j’emporte partout avec moi des admirations inépuisables. Donc quelques coups de coeur de ces derniers temps et d’autres de toujours : L de Benoit Jacques, Gus #4 de Blain, Brecht Evens, Charlie Poppins, Papiers à lettre de Gébé (et tout Gébé !), Reiser, Forest, Tardi, Brétecher, Gus Bofa, Captain Biceps de Zep et Tebo, et aussi, aux marges de la bande dessinée, mais pour moi, ça en est : Hélène Riff, Guillaume Reynard, Ronald Searle, et j’en oublie, pfouh, il y en a trop… Et les récits de Sempé : « Monsieur Lambert », « Marcelin Caillou », « Par avion », etc. ! Car ce sont bien des bandes dessinées, au sens strict du terme.
V.V. : Je relis beaucoup, encore plus en BD. Mes lectures de chevet, ce sont Pratt, Larcenet (tout Larcenet), et Astérix, mais j’adore aussi Habibi de Craig Thompson, Fabcaro, Catherine Meurisse, Persepolis ou le Professeur Bell, Jeanne Picquigny de Fred Bernard, Christophe Blain – des gens et des choses assez différents. Des trucs longs, de préférence. Et nous sommes d’accord avec Yann, je crois, pour dire que Goscinny et Sempé, c’est le sommet de la drôlerie intelligente.
Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
Y.A. : Des textes de romans jeunesse divers et des dessins pour un roman policier jeunesse… Un possible Kong-Kong 2 ? Allez savoir…
V.V. : Yep, un Kong-Kong 2, c’est bien possible, on a commencé à en parler cet été sur une terrasse pluvieuse de Saint-Malo… Moi, je termine un très gros roman qui sortira en young adult, sur lequel je transpire depuis des mois. Quarante ans, une douzaine de personnages principaux : passionnant, mais la prochaine histoire se déroulera sur quinze jours, et avec trois personnes maximum, pour le plaisir du contraste.
Propos recueillis par email par Romain Gallissot
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Kong Kong, un singe sur le toit.
Par Yann Autret et le scénariste Vincent Villeminot.
Casterman, 14,95 €, août 2018.
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