La bande dessinée est-elle en crise ?
L’état de la bande dessinée : vive la crise?, c’est le titre un poil provocateur d’un ouvrage coédité par Les Impressions Nouvelles et la CIBDI (Cité internationale de la bande dessinée et de l’image), illustré par Mathieu Sapin. Il s’agit d’un compte-rendu des conférences et débats ayant eu lieu pendant la 3e Université d’été de la BD (à Angoulême, du 30 juin au 3 juillet 2008). Son sujet est encore largement d’actualité, puisque divers intervenants du milieu s’interrogent sur la surproduction et la vitalité du secteur.
La crise, un avantage pour la BD ?
Fabrice Piault, rédacteur en chef adjoint de Livres Hebdo, n’hésite pas à se réjouir de la crise. « Parce que sa nature souligne à quel point le marché de la bande dessinée a changé d’échelle, pour le meilleur ; parce qu’on assiste à un élargissement sans précédent de l’offre et à un déploiement inédit de la créativité ; parce qu’elle oblige toute la chaîne de conception et de diffusion de la bande dessinée à se professionnaliser, qu’elle est un facteur de requalification générale. » Après avoir souligné l’essor des éditeurs indépendants dans la deuxième moitié des années 90, il se réjouit que la BD soit « définitivement » sortie du ghetto. « La majorité des défis auxquels elle est confrontée sont désormais les mêmes que ceux qui s’imposent aux autres secteurs de l’édition, notamment la littérature. Comment faire sa promotion quand la presse est en crise ? Comment toucher son lectorat quand il est de plus en plus éclaté ? »
Didier Pasamonik, éditeur-adjoint d’ActuaBD, va encore plus loin, relativisant la « crise » qui fait si peur aux éditeurs. Il se réjouit du « choix inouï, jamais atteint par la bande dessinée auparavant », qui se trouve offert aux lecteurs. Et rappelle ce qu’il avait déjà affirmé dans un article en ligne : « Deux arguments plaident en faveur d’une surproduction volontariste. Le premier est statistique : plus on produit de nouveautés, plus on a de chances de découvrir une œuvre exceptionnelle. Le second est logique : si on laisse sans réagir les créateurs étrangers prendre la place des créateurs nationaux sans proposer en face une offre adaptée, renforcée par une forte concurrence sur le marché intérieur, et susceptible de rivaliser avec nos compétiteurs, l’industrie de la bande dessinée franco-belge disparaîtra de nos contrées et nos créateurs iront se faire publier aux Etats-Unis et au Japon. »
Une dématérialisation possible du marché
La dématérialisation partielle du marché est évoquée par Grégoire Seguin, ancien libraire et responsable éditorial chez Delcourt. « La recrudescence de sites consacrés à la bande dessinée sur Internet a montré qu’il y avait là un nouveau vecteur de promotion de la BD dans sa diversité. Il n’est pas impossible, le jour où un modèle économique viable existera, que ce support offre de nouvelles opportunités et que nous retrouvions une situation proche de celle où les revues constituaient l’essentiel du marché. Le passage à l’album n’était alors pas systématique et pourrait à nouveau ne plus l’être. »
La surproduction, croque-mort des albums confidentiels
Jean-Louis Gauthey, fondateur des éditions Cornélius, se révèle nettement moins positif que les autres intervenants. Et regrette que le temps de présentation des nouveautés en librairies se réduise à deux semaines en moyenne aujourd’hui, contre deux mois en 2002. « Après ces deux semaines, la vie d’un livre devient beaucoup plus erratique et confidentielle. Ceux qui ne suscitent pas immédiatement l’intérêt, ceux qui ne savent pas séduire par leur sujet, par la grâce d’un plan média ou par la réputation déjà assise de leur auteur, disparaissent du circuit. Beaucoup de ces sacrifiés sont des produits sans âme, mais il y a aussi parmi eux quantité d’auteurs en devenir et d’œuvres originales auxquelles le marché ne laisse plus aucune chance ; ils meurent dans le plus grand silence. »
Il parle d’une « crise artistique majeure, qui n’est pas imputable au manque de créateurs, mais au manque d’éditeurs » – sous-entendu de professionnels sachant dénicher de bonnes et belles œuvres. Jean-Louis Gauthey plaide par ailleurs pour une dissociation entre le propriétaire d’une maison d’édition (publisher en anglais, qu’il propose de traduire par « publieur ») et l’éditeur, chargé de faire des choix et un accompagnement artistiques.
« Pour en finir avec cette démence de l’offre et de la duplication, je voudrais répéter qu’elle ne sera pas sans conséquence, assène-t-il. On est en train de tuer la création, la recherche, et par là même les possibles de demain. Bien sûr, il sort énormément de très bons livres de jeunes auteurs. Mais ils sont la plupart du temps le fait de structures alternatives qui ne disposent pratiquement d’aucune place pour exister en librairie, et qui sont étouffées par la boulimie des publieurs. »
La BD, une équation économique impossible
Une position nuancée par Louis Delas, directeur général de Casterman, qui rappelle « l’équation économique impossible » de la BD : « Un titre coûte plus cher en gravure, impression, reliure qu’un livre « normal », alors même que le public trouve tout à fait normal de payer 20 € un roman de 150 pages mais anormal de payer 12 € pour une BD cartonnée en couleur. Cependant, quand un titre « prend », nous atteignons assez rapidement des chiffres sans commune mesure avec ceux de la littérature en général. Ainsi, certains éditeurs généralistes méprisent-ils ce genre et y viennent-ils comme à une ruée vers l’or. Le temps qu’il se rendent compte que la bande dessinée est un métier véritablement difficile, ils ont contribué à embouteiller le marché. »
D’autres contributions passionnantes – comment faire un travail d’auteur en reprenant Spirou chez Dupuis, par Emile Bravo, ou les répercussions de la surproduction chez les libraires, dont certains reçoivent des livres sans les avoir commandés – enrichissent cet État de la bande dessinée. Un essai à voix multiples indispensable à tous ceux qui côtoient d’un peu près le monde de la BD, ainsi qu’aux lecteurs qui s’interrogent sur la multiplication des albums sur les étals des libraires.
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L’État de la bande dessinée : vive la crise ?
Les Impressions Nouvelles/CIBDI
19,50 €, le 22 janvier 2009.
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© Mathieu Sapin – Lewis Trondheim – Les Impressions Nouvelles/CIBDI.
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n6 spirou et fantario avril-juin 2009? deja tu fais preparer les pages ?
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n6 spirou et fantario avril-juin 2009? deja tu fais preparer les pages ?
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Tout cela a l’air fort intéressant — mais serait-il possible d’avoir aussi votre avis concernant la fin de l’ouvrage en question? Parce qu’en y regardant de près, cette chronique ne couvre réellement que le premier chapitre (« les raisons d’un essor »), en suivant d’ailleurs scrupuleusement la table des matières, comme on peut le constater en se référant au site de l’éditeur). Alors pourquoi subitement expédier les trois autres parties (« nouveaux visages de la bande dessinée populaire », « sur le terrain » et « manga, pour combien de temps encore? ») en une seule phrase? Pourtant, vous parlez « d’autres contributions passionnantes », c’est dommage de ne pas en dire plus. Que s’est-il donc passé? La pression de la deadline, l’oubli du livre dans le métro, des restrictions sur la longueur du texte, l’arrivée de dossiers plus importants?
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Tout cela a l’air fort intéressant — mais serait-il possible d’avoir aussi votre avis concernant la fin de l’ouvrage en question? Parce qu’en y regardant de près, cette chronique ne couvre réellement que le premier chapitre (« les raisons d’un essor »), en suivant d’ailleurs scrupuleusement la table des matières, comme on peut le constater en se référant au site de l’éditeur). Alors pourquoi subitement expédier les trois autres parties (« nouveaux visages de la bande dessinée populaire », « sur le terrain » et « manga, pour combien de temps encore? ») en une seule phrase? Pourtant, vous parlez « d’autres contributions passionnantes », c’est dommage de ne pas en dire plus. Que s’est-il donc passé? La pression de la deadline, l’oubli du livre dans le métro, des restrictions sur la longueur du texte, l’arrivée de dossiers plus importants?
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Cher Kamen Rider,
Si je caricature (à peine) votre propos, vous supputez que j’ai soigneusement lu la table des matières en la saupoudrant vaguement de quelques citations.
En fait non, j’ai scrupuleusement lu l’ouvrage jusqu’à la fin (si, si, je vous assure, pas de pression éditoriale, de lecture en diagonale entre deux albums ou de jet intempestif du livre dans une poubelle). Et j’ai choisi de faire une sélection de ce qui me paraissait le plus pertinent – même si le reste n’est pas à jeter, loin de là. J’ai donc effectivement consacré un espace beaucoup plus restreint aux dernières parties car elles me semblaient moins refléter le propos principal du livre (la crise de la bande dessinée). Et puis parce qu’un article – celui-ci étant déjà assez long – ne peut pas être le reflet exhaustif d’un livre. -
Cher Kamen Rider,
Si je caricature (à peine) votre propos, vous supputez que j’ai soigneusement lu la table des matières en la saupoudrant vaguement de quelques citations.
En fait non, j’ai scrupuleusement lu l’ouvrage jusqu’à la fin (si, si, je vous assure, pas de pression éditoriale, de lecture en diagonale entre deux albums ou de jet intempestif du livre dans une poubelle). Et j’ai choisi de faire une sélection de ce qui me paraissait le plus pertinent – même si le reste n’est pas à jeter, loin de là. J’ai donc effectivement consacré un espace beaucoup plus restreint aux dernières parties car elles me semblaient moins refléter le propos principal du livre (la crise de la bande dessinée). Et puis parce qu’un article – celui-ci étant déjà assez long – ne peut pas être le reflet exhaustif d’un livre. -
Chère Laurence,
Vous caricaturez de trop. Votre compte-rendu de cette première partie qui donne la parole aux éditeurs est de très bonne facture, ma référence à la table des matières n’était là que pour mettre en avant l’impression que j’ai eu à la lecture de cet article: celle que la personne qui l’avait rédigé avait du, pour une raison ou pour une autre, interrompre sa lecture à la fin du premier chapitre. Il faut quand même reconnaître que c’est troublant de retrouver dans le même ordre les cinq premières contributions à cet ouvrage, avec moult détails, le reste se voyant résumé en trois lignes.Je comprends mieux votre parti-pris, même s’il me semble qu’il est dommage de passer sous silence les commentaires des libraires (et la manière dont ils voient la surproduction), ou tout le pan concernant les mangas, dans un tel article.
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Chère Laurence,
Vous caricaturez de trop. Votre compte-rendu de cette première partie qui donne la parole aux éditeurs est de très bonne facture, ma référence à la table des matières n’était là que pour mettre en avant l’impression que j’ai eu à la lecture de cet article: celle que la personne qui l’avait rédigé avait du, pour une raison ou pour une autre, interrompre sa lecture à la fin du premier chapitre. Il faut quand même reconnaître que c’est troublant de retrouver dans le même ordre les cinq premières contributions à cet ouvrage, avec moult détails, le reste se voyant résumé en trois lignes.Je comprends mieux votre parti-pris, même s’il me semble qu’il est dommage de passer sous silence les commentaires des libraires (et la manière dont ils voient la surproduction), ou tout le pan concernant les mangas, dans un tel article.
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