La Bible selon Robert Crumb
Qui eut cru que Robert Crumb, le pape de la bande dessinée alternative américaine, adapterait sur plus de 200 pages La Genèse ? Qu’a bien pu motiver l’artiste à minutieusement décortiquer ce texte fondateur pour en livrer une adaptation la plus fidèle possible ? Ces questions étaient sur toutes les lèvres lors de la conférence de presse internationale de l’auteur, le 28 septembre 2009 au Centre Georges Pompidou à Paris.
Robert Crumb, 66 ans, entre. Grande silhouette dégingandée, costume sombre, cravate colorée et sandales avec chaussettes. Il scrute la salle remplie d’éditeurs et de journalistes européens d’un oeil amusé et un peu fatigué par avance. Mais se prête de bonne grâce au jeu des photos et commence à réagir aux premières questions. Toutefois, dès ses premières réponses, laconiques, il semble s’étonner de l’intérêt que porte ce petit monde à « ce qui n’est qu’une bande dessinée ».
« Ma première motivation était de faire une BD, explique l’auteur. Et c’est vrai que je m’intéressais depuis longtemps aux anciens mythes, babyloniens par exemple. De la même manière, je me suis penché sur La Genèse, et me suis dit que les histoires qu’elle contient pourraient faire une bonne BD. » Le voilà donc parti pour une adaptation qui lui prendra plus de quatre années, et qui l’a laissé véritablement épuisé. « J’ai mis tellement d’énergie dans ce livre, j’ai peaufiné tant de fois chaque planche, que j’ai l’impression d’être totalement vidé. Parfois, j’aimerais ne pas être aussi obsédé par les détails… »
Le souci du détail, c’est bien là la particularité flagrante de La Genèse vue par Crumb. On aurait en effet pu s’attendre, de la part du créateur de Mr Natural et Fritz the Cat – qui s’est fait connaître grâce à ses comics sous LSD -, à une version irrévérencieuse et décalée du Livre des Livres. Mais pas du tout: il s’agit d’une adaptation quasi-littérale. « Je n’ai fait qu’illustrer chaque mot du texte, explique-t-il. Car quand on l’étudie de très près, comme je l’ai fait, on se rend compte qu’il est empli de choses étranges. J’avais autrefois tenté de dessiner des parodies de l’histoire d’Adam et Ève, mais ça ne fonctionnait pas, car la version originale est déjà si bizarre..! »
Il y a autre chose encore qui amuse Robert Crumb: la fascination des hommes pour ce texte et les querelles qui entourent son interprétation. « Quand on lit La Genèse attentivement, on découvre à quel point certains passages sont ridicules. Dès lors, on ne peut pas croire que ce texte soit issu de la parole de Dieu. Ce sont forcément les mots des hommes, c’est trop gros! Ensuite, il y a tous ces termes anciens, quasi-incompréhensibles aujourd’hui. Quand je pense à ces gens qui se disputent encore pour savoir ce qu’ils signifient, je me dis que c’est vraiment n’importe quoi ! » Dès lors, on comprend mieux sa démarche d’illustrateur distant. En étant le plus fidèle possible au texte, Robert Crumb souhaite mettre sous le nez du lecteur le VRAI Ancien Testament et lui montrer ce qu’il recèle réellement: des faits bizarres, des passages obscurs et une bonne dose de risible.
Car pour l’artiste, « nous vivons dans un monde très primitif. C’est effrayant de voir qu’à l’ère de la communication des gens s’entre-tuent encore pour ces questions-là. Quand j’étais jeune, je fréquentais une école catholique. Je suivais un enseignement religieux et, comme tout le monde, je croyais à ce qu’on me racontait. Car personne ne se posait de questions. Mais si on s’interroge vraiment sur les textes, tout s’écroule de soi-même!« Répondant à l’inévitable question sur sa foi actuelle, Robert Crumb se déclare « gnostique », persuadé « qu’il y a de toute évidence une force plus grande au-dessus de nos vies », sans pouvoir mettre de nom sur elle.
Au-delà du sujet biblique qui passionne les foules, l’auteur évoque avec enthousiasme son travail de dessinateur et le pouvoir de son médium de prédilection. « Au fil des pages, mon dessin s’est amélioré. Et c’est pour cela que je suis revenu souvent sur les planches précédentes, pour corriger, améliorer sans cesse. En plus, il y a plein d’images géniales à dessiner dans La Genèse, auxquelles je ne m’étais encore jamais confronté. Maintenant, je peux dessiner un chameau les yeux fermés! Plus sérieusement, il ne fallait pas être trop symbolique dans les images pour ne pas perdre le lecteur. Vous savez, la bande dessinée a des traditions narratives très conservatrices, mais il y a une raison à cela: pour être un bon auteur de BD, pour bien raconter une histoire, il ne faut jouer au peintre fou. Il faut passer des heures sur sa table à dessin.«
Alors, Robert Crumb s’est-il définitivement assagi ? L’âge et le soleil du Sud de la France, qu’il habite depuis plusieurs années avec son épouse, ont-ils totalement vaincu son imaginaire névrosé ? « Non, je ne suis hélas pas un moine dans sa cellule, à l’écart du monde. Je vis bien parmi les hommes. Mon travail sur la Bible, à part m’avoir flingué la santé, ne m’a pas vraiment changé. Et s’il s’agit d’un de mes travaux les moins subversifs ? Lisez-le attentivement, et vous verrez que La Genèse est en elle-même bien suffisamment subversive!«
Benjamin Roure
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La Genèse.
Par Robert Crumb.
Denoël Graphic, 29 €, le 22 octobre 2009.
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Images © Robert Crumb / Denoël Graphic – Photos © Peter Poplaski
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Je me pose une question:
Alors que Cornélius fait un vrai travail patrimoniale en rééditant, et de belle manières les oeuvres de Crumb, comment se fait-il, quelles sont les raisons éditoriales qui font que ce nouveau bouquin sort chez Denoël Graphic et pas Cornélius? -
Je me pose une question:
Alors que Cornélius fait un vrai travail patrimoniale en rééditant, et de belle manières les oeuvres de Crumb, comment se fait-il, quelles sont les raisons éditoriales qui font que ce nouveau bouquin sort chez Denoël Graphic et pas Cornélius?
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