Le Sud de l’Espagne au Xe siècle est une terre musulmane, le califat d’Al Andalus. À Cordoue, les deux derniers califes ont construit leur politique sur une vision humaniste du monde, basée sur le savoir, les sciences, la philosophie. Mais cette terre en paix et cette politique éclairée vont voler en éclat car le nouveau calife n’a qu’une dizaine d’années et laisse les rênes du pouvoir au vizir, homme ambitieux et belliqueux. Qui va, comme acte symbolique de la nouvelle politique, sous l’influence de religieux rigoristes, mettre au bûcher les collections de l’immense et incomparable bibliothèque de Cordoue. Pour sauver des flammes quelques-uns de ces exemplaires uniques, un eunuque, une esclave et un petit voleur vont se lancer dans folle équipée, accompagnée d’une mule malingre et têtue…

À la fois comédie historique, road-movie philosophique, cri d’amour au livre et à ses créateurs et défenseurs, et critique futée des obscurantismes de tous bords, La Bibliomule de Cordoue est sans doute une des BD les plus ambitieuses et les plus réussies de Wilfrid Lupano. En effet, l’auteur des Vieux Fourneaux ou du Singe de Hartlepool déploie ici une longue histoire pleine de bons mots et de rebondissements, qui prend le temps d’explorer avec finesse différents thèmes. Des thèmes intemporels, et donc tout à fait d’actualité malgré l’époque moyenâgeuse choisie : l’importance du savoir, de la recherche scientifique, et de la mémoire, pour le dialogue entre les peuples et les communautés (nationales, religieuses, ethniques…) et pour la mémoire de l’Humanité. Au fil de quelque 264 pages, lors de séquences franchement cocasses et de flashbacks sordides – parfaitement mis en scène par Léonard Chemineau (Les Amis de Pancho Villa, Julio Popper, Le Travailleur de la nuit…) et son trait réaliste plein de vigueur, souligné par les belles couleurs de Christophe Bouchard –, le scénariste cisèle des dialogues délicieux et profonds sans en avoir l’air, résolument tous publics, construisant un parfait modèle de divertissement intelligent, comme il en existe bien trop peu. Bravo.