La BoDoïthèque – L’Histoire du corbac aux baskets
Ni liste des 100 meilleures BD de tous les temps, ni même bibliothèque idéale et définitive, la BoDoïthèque est une suite de petits panthéons personnels des rédacteurs de BoDoï. Une sélection d’albums hors actualité, qui comptent pour nous, qui nous ont marqués, qu’on relit encore. Nos coups de coeur intemporels et personnels. Et une bonne façon de passer l’été à vous parler de bandes dessinées, et vous donner envie d’en lire.
L’Histoire du corbac aux baskets.
Par Fred.
Dargaud.
Dans un univers un brin différent que celui de son champêtre Philémon, Fred compose avec cette Histoire du corbac aux baskets un conte dépressif sur la différence et la place de l’individu dans la société. Des thèmes déjà abordés à plusieurs reprises dans son oeuvre, mais qu’il creuse ici plus profondément. On peut même dire qu’il appuie là où ça fait mal, déclinant l’intolérance dans ses nombreuses formes.
Comme dans une version à plumes et en extérieur de La Métamorphose de Kafka, voici donc Armand, un type a priori lambda qui s’est réveillé corbeau, mais en conservant sa taille humaine… et ses baskets aux pieds. C’est ce qu’il raconte à un psy, lui-même affublé des atours immanquables de la profession : entonnoir sur la tête et énorme stylo à plume sous le bras, qu’il a bien du mal à monter sur sa chaise de bébé. Notre héros au noir plumage évoque en détails la journée qui l’a poussé à venir consulter: renvoi de son travail, prise de bec avec un gardien de square, regard dégoûté des vieilles du quartier, rejet de la part du bistrotier, snobisme de la haute bourgeoisie, etc.
Le corbac aux baskets est présenté dans ce conte comme l’autre, le jeune, l’étranger, le criminel. Celui qui souille les parterres de fleurs, vole le travail des honnêtes gens, ne respecte pas la bienséance, viole la loi. Une stigmatisation sociale et politique insupportable, et pourtant toujours terriblement d’actualité… Mais avec son humour surréaliste et un brin anar’, ses dialogues pleins de jeux de mots tordants et sa puissance graphique, le grand Fred ne donne pas dans la plate chronique politique de nos jours sombres. Il préfère se moquer gentiment (mais fermement) de tous ces emmerdeurs bas du front, qui seront peut-être un jour les victimes de leur propre haine. Sauf si la masse des moutons-électeurs prend d’un seul coup le même virage…
En cela, la conclusion de L’Histoire du corbac aux baskets fait froid dans le dos. Car si l’homme est mortel, sa bêtise ne l’est pas.
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