La Désolation
Évariste a pris ses cliques et ses claques et s’est embarqué sur le Marion-Dufresne. Ciao La Réunion et son ex Amandine, bonjour les Kerguelen et la solitude. À bord du navire, il rumine son spleen auprès de scientifiques lourds, de naturalistes rigides et de touristes de l’extrême. Sans savoir trop pourquoi il a entrepris ce voyage, si ce n’est de disparaître au monde. Ça tombe bien, sur l’île de la Désolation, il n’y a qu’une poignée d’humains étudiant la nature préservée. Enfin, c’est ce que tout le monde croit : alors qu’il randonne avec des connaisseurs du coin, Évariste se fait kidnapper par une horde d’hommes sauvages…
En scénariste malin et audacieux, Appollo (Chroniques du Léopard, Une vie sans Barjot, Commando Colonial…) démarre son one-shot comme une fiction sur la crise de la quarantaine, le poursuit comme un thriller en pleine nature façon Délivrance, et l’ouvre sur une réflexion troublante sur la place de l’Homme sur une planète qu’il massacre un peu plus chaque jour. Et si c’était l’avenir de l’Humanité de se défaire de toute technologie ? De se recroqueviller en micro-communautés, en symbiose avec la nature et sans lien avec les autres sociétés? De tout reconstruire loin des terres polluées, surpeuplées et ravagées ? La question se fait jour, subtile, profonde et paradoxale, au gré d’un récit âpre narré à la première personne, par cet Évariste qui voulait disparaître et qui, d’un coup, veut absolument survivre. Car elle est là, l’essence de l’humain, l’instinct de survie. Mais à quel prix ?
Pour mettre en image cette histoire glaçante et vertigineuse, Christophe Gaultier (La Tragédie brune, Le Porteur d’histoire, Le Suédois…) ne ménage pas ses efforts et ses outils de dessin, griffant le papier comme s’il le scarifiait, pour brosser des décors léchés et des personnages hyper expressifs. Dans un réalisme profond qui évoque celui d’Hervé Tanquerelle dans Le Dernier Atlas ou celui de Frederik Peeters dans Aâma, mais en plus hachuré et douloureux.
Ensemble, les deux auteurs offrent une expérience de lecture qui remue, interroge, tisonne comme rarement, dans une montée en puissance continue jusqu’à un final terrifant. La marque des grandes bandes dessinées, sans aucun doute.
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