La Harde
Petra est culturiste, l’une des meilleures. Son hygiène de vie est extrêmement stricte et elle soigne son corps comme son image, repoussant les attributs de sa féminité sous ses muscles et son autobronzant. Denise, elle, est une femme-serpent : elle s’est fait greffer à la place d’un bras et d’une jambe un corps de reptile. Et cherche encore à trouver un sens à ce nouveau corps avec qui elle vit en symbiose. Enfin, il y a Ulla : obèse, géante même, elle restaure des oeuvres d’art avec une minutie paradoxale par rapport à sa taille, et tente de trouver un environnement qui ne lui rappelle pas sa différence en permanence. Ces trois colocataires fusionnelles tombent un jour sur trois frères et soeurs à l’abandon : leur mère part régulièrement des semaines entières pour son travail, laissant les gamins vivoter dans un appartement-capharnaüm terrifiant. Les « trois Grâces » et les trois mioches nouent alors une relation inédite, qui va bousculer les adultes bien plus qu’elles ne le pensent.
L’autrice allemande Marijpol brosse ici le portrait de trois femmes qui ont chacune un corps « extrême », et un rapport complexe avec celui-ci. À quoi doit-il servir ? À se sentir forte, à séduire, à s’enrichir, à enfanter ? Dans un futur indéterminé où les manipulations sur le corps sont monnaie courante – mais pas forcément bien acceptées –, ces questionnements sont abordés à travers une comédie humaine finement composée. Et renforcée par l’effet miroir produit par les trois enfants en quête d’une mère : si la fratrie compte toujours sur le retour de la vraie maman, elle instille un nouveau sentiment chez les colocataires. Avides d’émancipation et de briser les codes, ces trois femmes vont-elles succomber à un prétendu instinct maternel ? Marijpol balaie toute facilité et simplisme de son scénario, et explore des pistes nuancées, subtiles, troublantes. Mais toujours – malgré la dureté et la douleur de certains passages – dans un esprit de douceur et d’espoir. Son trait tout en ondulation et sa bichromie violette vaporeuse apportent tantôt un certain malaise, tantôt une salutaire lumière. Et dans cette histoire fleuve, qui se savoure presque comme un soap étrange, elle interroge la notion de normes (celles du corps, du couple, de la famille, de l’éducation, du travail…) avec une finesse rare. Impressionnant.
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