La Jungle
Un homme fuit une zone de guerre, enterre son fusil et rejoint le flot des réfugiés. Puis c’est la litanie de la migration et des angoisses qui y sont liées : un passeur, un camion, un paquebot, un bateau, des bagarres, des menaces, des viols, un drone qui empêche d’accoster. Et pour les survivants, dont notre homme ainsi qu’une femme et son enfant qu’il a pris sous son aile, un début d’espoir dans un camp propre et sûr. Avant de rencontrer un gourou-caïd et sa milice personnelle…
Nicolas Presl (Les Jardins de Babylone, Orientalisme…) est un maître de la bande dessinée muette, et il le prouve à nouveau avec ce récit d’une rare puissance. Un pavé de 340 pages à la structure quasi immuable de quatre hautes cases par planche, pour décrire l’errance d’un homme qui n’a pu s’accomplir que dans le sang, et qui survit hanté par ses fantômes. Pas de pays ni de date précisés, peu importe : les guerres civiles modernes sont un peu toutes les mêmes, et l’indifférence voire la haine des Occidentaux aussi. À cette fresque sombre et haletante sur la migration, Nicolas Presl ajoute un pan plus intime autour de l’emprise mentale, de la domination masculine sur le corps des femmes et sur les traumatismes profonds qu’elles engendrent. Son trait immédiatement reconnaissable par ses personnages étranges, à la tête disproportionnée, aux yeux déformés, aux membres allongés, instille le malaise à chaque page : il a rarement été aussi précis dans les sensations à faire vivre au lecteur, qui pourra être pris de vertige et de nausée face à la violence et à la souffrance qui émanent de ces pages. Mais l’auteur ne le fait jamais gratuitement, ne tombant pas dans la complaisance ou le voyeurisme, grâce à une maîtrise plastique bluffante. Un coup-de-poing, dans les yeux et dans l’estomac.
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